Penser la double-dualité

Le leader se caractérise notamment par sa capacité à décider vite. Dans un environnement stable où les erreurs se corrigent, décider vite équivaut souvent à décider bien.

Or nous vivons dans un monde de plus en plus insaisissable (VUCA) aux enjeux croissants. Décider vite sans garantir de bien décider signifie alors perdre des chances irrécupérables. La pensée réflexe – cette logique d'opposition – ne suffit plus à assurer la prospérité des organisations ni à prévenir les risques d'éviction.

J'appelle duellité cette pensée par contraires exclusifs : froid s'oppose à chaud, bon à mauvais. Le "ou" y règne en maître. Son illustration la plus criante en entreprise ? L'antagonisme problème ou solution : un problème n'est pas une solution, une solution n'est pas un problème.

Idéogramme chinois pour changement, simple ou loi fixe (archaïque)

Pourtant, cette approche heurte souvent le bon sens. Les choses se révèlent plus complexes.

Je propose ici de penser la dualité. Prenons le tandem problème/solution : la dualité suggère qu'un problème peut être la solution d'un autre système, tandis qu'une solution, même efficace, engendre immanquablement de nouveaux problèmes. Il serait tentant de résumer cela par un "tout est dans tout" paresseux. Ce serait méconnaître l'enjeu – et donc mal décider.

Le décideur doit dépasser l'opposition stérile par la dualité. 

Quittons la duellité...

Cette pensée binaire ressemble à la gravité newtonienne : efficace pour décrire des phénomènes locaux (resserrer un boulon), mais impuissante face aux organisations complexes où chaque action déclenche des réactions en chaîne – adaptations imprévues, effets pervers.

L'exemple de ce manager est éloquent. Face au manque d'autonomie de son équipe, son raisonnement duel l'enfermait : "Je les aide trop, donc je dois cesser. Mais sans moi, ils échouent." Échec et mat.

Autre piège : l'opposition simpliste entre incertitude (source de peur) et certitude (source de sérénité). Paradoxalement, cette aversion pour l'incertitude étonne en contexte entrepreneurial où elle devrait être consubstantielle à l'exercice.

... pour embrasser la dualité.

Penser la dualité exige un effort culturel. Nos sociétés célèbrent les choix tranchés. Mais l'essentiel est ailleurs : derrière chaque dualité s'en cache souvent une autre, plus féconde.

Cette seconde dualité peut s'ajouter à la première ou la compléter d'un autre ordre. Prenons l'opposition activité/repos : le repos suppose l'activité, l'activité exige le repos. L'énergie oscille entre dépense et reconstitution.

Mais je peux aussi bien dépenser mon énergie dans une concentration intense ou une méditation profonde, et la reconstituer par le sommeil ou une alimentation adaptée. Des modalités différentes pour un même flux.

Revenons à nos exemples :

Le manager a transformé aide/autonomie en aider à devenir autonome (première dualité) via un désengagement progressif sécurisé.

Puis a émergé une seconde dualité : proximité humaine et autorité hiérarchique. Son nouveau rôle renforce simultanément sa légitimité et la maturité de l'équipe.

L'incertitude : Au-delà de peur du risque/excitation des opportunités, se révèle une dualité plus subtile : l'angoisse de l'impuissance (face à des certitudes illusoires) contre l'incertitude comme oubli (méconnaissance des leviers contrôlables).

Cette lecture enrichie permet des actions plus précises, économes en moyens et démultipliées en efficacité.

Pour clore cette réflexion sur la dualité – elle-même double –, considérons une dualité fondatrice : celle du changement.

Vision occidentale : Le changement est une zone périlleuse entre deux états stables. La stabilité y est idéalisée.

Vision orientale : Le mouvement est la norme cosmique. La stabilité prolongée devient suspecte.

Changement

L'idéogramme chinois 易 (yì), signifiant à la fois changement, facile et loi fixe, marie la pluie et le soleil. Nous savons qu'un été adviendra, mais non ses contours précis.

Là où l'Occident oppose ces éléments (privilégiant le soleil), la pensée chinoise y voit une alternance vitale. Les calamités surviennent justement quand le temps ne change pas : sécheresse ou pluies diluviennes.

En France, les canicules à répétition infléchissent d'ailleurs le discours : la pluie retrouve grâce, le soleil inquiète.

Harmonie

Dès lors, un mot comme harmonie prend un sens très différent, d'une sorte d'accord, de perfection formelle, stabilisé dont on voudrait ne pas sortir d'un côté, à l'inscription dans les mouvements naturels d'un autre, du semblable au différent, de la boîte qui a trouvé son couvercle aux paysans qui chantent pour rythmer et coordonner les travaux dans les champs.

Le vrai leadership naît dans cet entre-deux – où chaque décision est à la fois ancre et voile.


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Thierry Cammarata

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