L'effet majeur

La stratégie d'entreprise se rappelle régulièrement au bon souvenir de son ancêtre, la stratégie militaire. Si cette dernière est bien vivace, la première a bien du mal à s'extraire de son vice extrativiste : prendre un mot qui claque, en faire un concept flou, le surexploiter, l'user ad nauseam. Dévalorisé, il sera finalement abandonné et remplacé par un autre.

Or, certaines notions, pourtant centrales, échappent à cette récupération essorante. Leur nom ne claque pas et le concept est complexe à appréhender. Il n'est pas directement exploitable.

En clair, leur maîtrise implique travail et réflexion, deux ressources devenues rares. L'ancien officier de réserve et l'actuel intervenant en entreprise que je suis se désole de cette situation.



Je souhaite donc évoquer aujourd'hui un de ces concepts devant lequel des modes se dérobent et des robes se démodent : l'effet majeur.

L'effet majeur

Il n'existe pas sur le plan militaire de définition ferme et définitive de cette notion qui, par ailleurs, fait l'objet d'une littérature abondante et pointue en ce qu'elle participe du lien entre la stratégie et la tactique.

Une image permet d'illustrer cette notion, celle du point de bascule. Avant de l'atteindre, tout est dur et compliqué et s'il n'est pas atteint, l'échec et presque assuré. En revanche, s'il est atteint, la réussite devient d'une très grande probabilité.

Sur le plan militaire, un exemple l'illustre souvent. Dans un secteur donné, on cherche à empêcher l'adversaire de se déplacer tout en facilitant ses propres mouvements. Il ressort que la prise et la tenue d'un carrefour bien choisi facilitera grandement la réussite de la mission, c'est l'effet majeur recherché.

Les débutants ont souvent du mal à distinguer l'effet majeur de l'accomplissement même de la mission. Mais avec travail et expérience, cette notion révèle sa valeur.

Une autre image peut-être la randonnée en montagne. L'objectif est d'atteindre l'autre vallée et l'effet majeur peut alors devenir le franchissement du col. Si on ne réussit pas à le franchir, l'atteinte de l'autre vallée sera compromise, en revanche, si on y réussit, il reste à descendre, ce qui n'est pas toujours simple, mais les chances d'y arriver augmentent grandement.

En entreprise

En entreprise, l'effet majeur sera donc la condition qui, si elle n'est pas remplie, mettra presque sûrement le projet en échec.

Vous développeriez ou importeriez un produit sans difficulté mais sa vente est interdite. Votre effet majeur à obtenir est la mesure légale qui créera une niche permettant sa vente (CBD, glyphosate).

Lors de sa première sortie, le produit/service à connu l'échec car il en a eu une mauvaise image. Votre effet majeur sera de changer cette image pour réussir le lancement d'une nouvelle version (baskets PUMP dans les 80's, téléphones tactiles).

Vous souhaitez faire évoluer la culture de votre entreprise et considérez que l'adhésion du management (effet majeur) est essentiel au déploiement de la nouvelle.

Vous souhaitez recruter plus efficacement et fixez comme effet majeur que vos salariés actuels soient vos ambassadeurs.

Pour un candidat à un recrutement, le but d'un CV est d'être appelé pour un entretien. En revanche, l'effet majeur recherché est de créer cette envie par une forme et un fond personnalisé et efficace.

Pour un manager en prise avec un collaborateur insupportable, le but sera s'en doute de s'en débarrasser mais son effet majeur sera de créer les conditions d'un débat inévitable soit en réussissant à convaincre son supérieur de décider son renvoi soit en sapant l'action néfaste du dit collaborateur. Mon conseil, faites les deux. 

Trop de managers confondent effet majeur et accomplissement de la mission en s'avançant eux-mêmes sur le terrain d'une décision qui ne leur appartient pas puis se retrouvent pris à revers par un supérieur qui se veut magnanime. Déconsidérés, malmenés (dans tous les sens du terme), ils finissent parfois dindon d'une farce sur laquelle tous s'accordent pour qu'ils soient les seuls à en souffrir. C'est l'un des drames du management intermédiaire.

Ce que permet l'effet majeur

L'effet majeur permet donc essentiellement deux choses :

1/ Éviter de laisser de côté la condition de la réussite

Parfois, l'effet majeur n'est pas vu et personne ne s'en occupe de sorte que l'échec est quasi certain avant même d'avoir commencé à travailler.

Un exemple souvent rencontré est le match progiciel vs Excel.

Combien de progiciel n'ont, finalement, pas remplacé Excel du fait notamment de sa souplesse et sa polyvalence.

2/ Cadrer l'initiative

L'initiative est une désobéissance qui réussit alors que la désobéissance est une initiative qui rate. 

C'est ici que la notion d'effet majeur trouve toute sa valeur. Elle permet notamment de canaliser l'initiative et donc de démultiplier les chances de succès.

En effet, le plus souvent, l'effet majeur recherché est bien plus concret que le but poursuivi et la personne sait que si elle agit dans ce sens de sa propre initiative, elle contribuera nécessairement à l'atteinte de l'objectif final.

3/ Et tout le reste

La maîtrise de la notion d'effet majeur permet également de mieux présenter son projet, de mieux planifier les action, d'allouer les moyens plus efficacement, de mieux identifier les besoins en formation, conseil ou coaching, etc.

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En rédigeant ce billet, je comprends mieux pourquoi cette notion est absente de la réflexion stratégique en entreprise...

Atteignez votre effet majeur, la réussite de la mission, du projet suivra.

Alors, quand vous interroger une personne sur sa stratégie, en plus de lui demander quel est son but, demandez lui quel effet majeur elle cherche à atteindre.


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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