Pourquoi le mauvais management fonctionne-t-il ?

A longueur d'articles ou de livres, nous avons tous les outils et conseils pour devenir d'excellents managers (promouvant, autonomisant, encourageant, à l'écoute).

Les mêmes nous décrivent les mauvais comportements et attitudes qui relèvent de ce que l'on pourra appeler le mauvais management (micro-management, contrôle excessif, défiance, indécision) et les catastrophes qu'il provoque.

Ces critères sont connus et balisés. Nous sommes loin du sketch des Inconnus sur les bons et les mauvais chasseurs, entré dans la culture populaire.

Or, aussi bien dans ma pratique que dans mes échanges avec mes pairs, ce mauvais management est présent partout, localement ou de façon systémique, et les catastrophes annoncées n'ont pas lieu. Les effondrements organisationnels ne se produisent manifestement pas. Les entreprises concernées fonctionnent.


Je vous propose de voir d'abord pourquoi il est normal que le mauvais management reste largement répandu et pas inefficace puis, dans un second temps, la montée de limites de ces raisons.

En clair, si les professionnels du management crient au loup et que rien ne vient, cela ne signifie pas que ce loup n'existe pas et qu'il ne vient pas.

La culture mange la stratégie au petit déjeuner.

Il est normal que le mauvais management persiste. Il ne s'agit pas ici d'un jugement moral, au sens où il serait bien que ce mauvais management persiste, mais d'une approche systémique posant que la situation actuelle, même désagréable, est la résultat attendu des causes qui la génère.

1/ Dans une organisation, toute personne cherche à se conformer à ce sur quoi elle est véritablement évaluée :

Comme la plupart des membres de l'organisation, le manager agit de façon à pouvoir défendre son action devant ses supérieurs, ses pairs. 

Or, le plus souvent, se sont les nouveaux managers qui sont formés aux nouvelles méthodes. La permanence des anciennes au sein des niveaux les plus élevés auront tôt fait d'éteindre les lueurs aperçues initialement. Ces formations, même diffusées auprès des managers de plus haut niveau ou plus expérimentés, se heurtent à des croyances tenaces.

Ainsi, il sera le plus souvent préférable d'agir de façon inefficace mais conforme plutôt qu'efficace mais non conforme.

L'entretien de recadrage est l'étendard de la vision traditionnel du management au point que les nouvelles appellations, comme feedback, se trouvent calées sur cette ancienne notion. 

J'entends souvent que, en cas de problème avec un salarié, le manager va lui faire un feedback. Et à ma question : "Qu'est-ce qu'un feedback pour vous ?", la réponse est : je vais lui expliquer ce qui ne va pas et qu'il a intérêt à corriger.

Il est donc normal que le mauvais management persiste parce que les personnes formées n'ont pas le pouvoir en interne de faire changer les pratiques.

De plus, cette forme de management n'est pas toujours "mauvaise" et se trouve adaptée à certaines situations. Mais pour les rares cas pertinents, il reste appliqué de façon généralisée à cause des croyances qui le soutiennent et qui sont très ancrées.

Manquant d'un soutien hiérarchique durable, les nouvelles méthodes peinent à durer ou s'imposer.

2/ Les salariés ne connaissent que ça, et ils compensent :

Le premier manager professionnel qu'une personne rencontre est le plus souvent un prof durant l'enfance.

Or l'école de la république a toujours pour seule et unique fonction de former une élite. Cette élite se sent comparativement forte car les faibles ont été progressivement éliminés de la course. 

A ce jeu (de la vie ?), être fort est en pratique assez simple : identifier rapidement les codes sociaux de référence, s'y conformer avec plaisir, être à l'aise pour les activités verbo-linguistiques ou logico-mathématiques et être passé au travers de tout incident de nature à briser ce parcours.

Parmi les codes sociaux, vont se trouver la capacité à se soumettre avec la perspective -la promesse ?- une fois dans l'élite de pouvoir soumettre à son tour. (cette affirmation est axiomatique)

Or, les perdants de cette course, les faibles qui ont été écartés, en ont souvent, et malgré tout, accepté les règles, les critères de sélection.

Tout ceci est tellement ancré que la psyché que la plupart des protagonistes ne s'en rendent même pas compte.

Arrivés dans le monde du travail, ils ne sont ni surpris, ni perdus quand ils sont confrontés à un management similaire.

J'en veux pour exemple les managers de proximité ou intermédiaires que je rencontre et qui sont dans l'impossibilité de penser que leur propre hiérarchie à un rôle dans leurs problèmes avec leur équipe, voire que cette hiérarchie sabote leur autorité.

Le leadership c'est aussi être exigeant avec ses chefs.

Il faut aussi saluer ici les efforts permanents fournis par les salariés ou les agents qui œuvrent quotidiennement dans ce contexte et qui, en plus de leur travail, compensent un management défaillant.

Ce mauvais management est-il pour autant durable ?

Vos observations seront utiles pour illustrer ou discuter ce qui suit.

J'ai décris plus haut l'inertie des équipes dirigeantes et l'acceptation des équipes dirigées.

Or un des deux semble lâcher la rampe.

A mon humble avis, la capacité des équipes dirigées (en ceux compris le management de proximité ou intermédiaire) à se soumettre baisse.

Cette situation est nécessairement multi-factorielle. J'en retiendrai un seul : l'autonomisation.

À mon sens en effet, ce qui monte est la capacité des personnes de mieux en mieux cerner, d'évaluer leurs besoins (de toute nature) et d'agir pour les satisfaire.

Je mesure que cette hypothèse va à l'encontre de la doxa qui s'appuie sur l'idée contraire.

Je reste toutefois persuadé que cela expliquerait, aussi en partie, la baisse comparative de quantité et de qualité des candidats au salariat.

J'y vois trois conséquences :

- une fluidité intersectorielle accrue des salariés,

- un désamour grandissant des fonctions managériales subalternes,

- l'essor de la micro-entreprise.

1/ Les secteurs professionnels en concurrence entre eux sur une ressource plus rare :

A titre d'exemple, le secteur de l'hôtellerie - restauration souffre d'un déficit d'attractivité depuis des années et amplifié depuis la pandémie de Covid.

Pour y remédier, à la demande des professionnels, une stratégie de coercition a été choisie, ie les conditions du chômage pour les CDD (extras) ont été durcies. L'objectif était d'influer sur les arbitrages des salariés concernés pour rendre le travail encore plus "intéressant" que le chômage.

Résultats ? Beaucoup des plus débrouillards en ont déduit qu'il était encore plus intéressant de quitter la profession.

La précarisation des emplois (extras, CDD, intérim) semble avoir eu un effet inattendu : les personnes sont bien mieux capables d'évaluer leur situation, leur intérêt et d'agir en conséquence. Bref, plus autonome.

Il n'y a pas nécessairement de raison d'accepter un mauvais management alors que le travail est déjà dur alors que le goût du sacrifice compensatoire s'estompe.

Par ailleurs, il ne suffit pas pour un restaurant d'avoir un management vertueux, encore faut-il que les autres aussi pour faire changer la réputation du secteur dans son ensemble.

2/ Un management intermédiaire mal mené :

Le management intermédiaire est cisaillé entre les équipes qui sont confrontées à la réalité et une hiérarchie qui peut s'en abstraire et qui le fait. 

Or ces personnes qui devraient être le fer de lance de l'organisation, et au profit desquelles celle-ci devrait être tournée, se trouvent être le réceptacle de ses contradictions et au service de ses propres besoins.

À leur niveau aussi, ils compensent des défaillances qui leur sont de plus en plus visibles et insupportables.

Et à l'étonnement de tous, ces managers s'en vont ou refuse des promotions. Ils votent avec les pieds. La pédicratie (ou athymicratie : le pouvoir d'en faire moins).

3/ L'auto-entrepreneur

Une autre fuite est la micro-entreprise.

En France, il se crée près de 270 000 auto-entrepreneurs par an (source URSSAF 2022). Ce sont autant de gens qui n'envoient plus de CV.

Changer de métier, fuir les postes à responsabilités en connaissance de cause, créer sa boîte sont, à mon sens, des preuves que l'hypothèse généralement admise de la "fainéantise" pour expliquer les difficultés de recrutement est un leurre et que la coercition ne peut être efficace.

Les Anglais ont une blague envers les Français : "The problem with the French is that they don't have a word for entrepreneur."

Cela semble de plus en plus faux. 

Si les salariés qui démissionnent quittent souvent, en fait, leur manager, les autoentrepreneurs, eux, souvent, quittent le management. 

*    *    *

Nous traversons une crise managériale sans précédent. Il est même difficile de recruter des managers !

Comme je l'écrivais il y a quelques années, une crise est un rattrapage. L'environnement change mais l'organisation reste figée dans ses croyances et méthodes. Au début, l'écart est faible, ceux qui le dénoncent sont méprisés. 

Mais il grandit et un jour il est béant et le rattrapage se fait d'un coup, violemment. C'est la crise. Aujourd'hui, les signaux ne sont même plus faibles et le mépris laisse place à l'incompréhension le temps d'épuiser toutes les recettes classiques.

Mon analyse me porte donc en penser que le management, dans son ensemble et dans tout secteur, aurait beaucoup à gagner à rechercher, à fabriquer des personnes à la fois mieux informées et plus autonomes pour les faire revenir et les garder.

Il est grand temps que le management à la française trouve une nouvelle façon d'avoir raison, qu'il change. A mon sens, il n'y pas pas loin à aller : retourner aux fondamentaux : comprendre avant d'agir.


L'autonomie consiste à se donner à soi-même envers l'autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d'une autorité extérieure.

De Antoine Spire / Le Monde de l'éducation - Juillet - Août 2001


Thierry Cammarata

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