Bonheur au travail : souffler le CHO et le froid

Le Chief Happiness Officer (CHO) ou personne chargée du bonheur dans l'entreprise est un poste en vogue dans la droite ligne de la question plus générale du bonheur au travail.

Les notions de bonheur et de travail sont à l'origine éloignées. Tenter de les rapprocher est, pour le coup, un vrai travail. La langue française illustre parfaitement cette opposition initiale. Le mot travail vient du latin tripalium, qui était un instrument d’immobilisation et de torture utilisé pour punir les esclaves rebelles dans la Rome antique.

Plus tard, la réforme protestante notamment va modifier cette conception punitive du travail. Il devient vecteur d’émancipation.




Julia de Funès (philosophe) et Nicolas Bouzou (économiste) dans leur ouvrage, La comédie (in)humaine, font un diagnostic sans concession sur le management moderne. Ils dénoncent notamment une "idéologie bonheuriste" qui envahit le monde du travail. Ils opposent un bonheur ou une joie, conséquence d'un travail réussi et un bonheur ou une joie comme condition de performance.

Le bonheur est un fruit, pas une condition, de la performance


Or, dans la plupart des définitions, le bonheur est présenté comme un sentiment très personnel.

Deux personnes peuvent très être heureuses ou malheureuses dans un même environnement.

Bonheur et sens sont liés. Ainsi, on démontre que le travail n'est pas une valeur car il doit avoir un sens.

Faire une activité qui prend sens pour moi nourrit mon bonheur. Or aucune activité n'a de sens en elle-même. Sa finalité, son but ont du sens.

Il n'y a aucun sens dans la seule activité de monter un mur en briques même s'il peut y avoir un bonheur à le faire. toutefois, monter un mur pour construire une maison ou séparer une ville en deux n'a pas le même sens et peut-on parler de bonheur dans le second cas.

L'aptitude au bonheur n'est pas étrangère à une maturité émotionnelle certaine.

Ainsi, le rôle du CHO est faussé dès le départ. Sa mission semble être de créer les conditions d'un bonheur au travail alors que le bonheur est personnel et non pas un comportement, que le bonheur est dans la finalité du travail et non dans celui-ci.

Or, si le CHO peut agir sur les comportements ou les conditions du travail, il ne peut rien sur les sentiments des gens ni sur la finalité de leur travail.

Ainsi, le CHO s'occupe finalement du bien-être. C'est important mais ne relève pas de la même ambition. C'est aussi le seul aspect qui puisse faire l'objet d'un suivi quantitatif : actions menées, budgets, coûts, taux de satisfaction.

Le bonheur, organe de l'entreprise, externalisé ?


En faisant du bonheur un organe identifié de l'entreprise, celle-ci fait-elle le deuil d'en être la cause ?

Il semble que non dans le principe. En pratique toutefois, comme écrit plus haut, elle lâche la proie pour son ombre.

Le bonheur, ou plus modestement le bien-être, au travail ne serait donc plus l'affaire de tous, voire de chacun, mais confiée à un personne. Le bonheur au travail, fonction support ou opérationnelle ?

Je suis par ailleurs toujours en attente (peut-être l'ai-je manqué) du rôle du CHO en cas de crise ou de difficultés dans l'entreprise. Quels seraient sa doctrine, ses actions, ses outils ?

Ces questions sont à ce jour sans réponse. Vous comprenez peut-être un peu plus pourquoi.

Un des nombreux reproches justement fait au management est de participer à démonétiser les mots. Il semble que le mot de bonheur rejoint une liste déjà longue.

Paraphrasant Albert Camus, je dirais que : Mal nommer le bonheur, c'est ajouter au malheur du monde.


Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde.
(Albert Camus)


(Le mois prochain, comment garder les gens heureux dans l'entreprise)


Thierry Cammarata

arbitrium14
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