RH - Management : l'effet "filtre à gasoil"

Vous n'en n'aviez jamais entendu parlé, et c'est normal : je viens de le formaliser. Il décrit un phénomène fréquent dans les organisations.

Rappelons que le filtre à gasoil est une pièce du moteur qui empêche les particules et autres impuretés du réservoir de parvenir jusqu'au circuit d'alimentation.

Image par dearcompany de Pixabay

La fonction de ce filtre est essentielle à la longévité du moteur Diesel. Evidemment, plus le gasoil et les conduites qui le transportent sont propres, moins le filtre est sollicité. A l'inverse, plus le gasoil charrie d'impureté, plus le filtre s'encrasse rapidement et c'est le fonctionnement entier du moteur qui est atteint.

Dans les organisations, certains services, ou salariés pris individuellement, sont soumis à cet effet "filtre à gasoil". De quoi s'agit-il ?

Une entreprise, pour fonctionner, a besoin que ces différentes parties échangent des flux de biens ou d'informations. Ces flux sont généralement encadrés par des procédures, plus ou moins formalisées, qui en assurent l'efficacité et la sécurité.

L'objectif de ces procédures est de réduire, autant que possible, l'écart entre les données ou biens fournis et ceux attendus. Quand cet écart est nul, le processus peut être automatisé, sous forme informatique ou industrielle.

Or il arrive, avec le temps, que la rigueur de ces procédures se perde au profit d'usages ou d'habitudes qui, au final, profitent à certains services, plutôt en amont, et moins à d'autres, plutôt en aval des process.

Un service paie

Il y a quelques années, une entreprise de renom me fait confiance pour donner une opinion sur le fonctionnement de son service paie interne.

Le service emploie 7 salariées et une responsable.

L'analyse sur place révélera un certain nombre de difficultés mais une, concernant le calcul et le versement d'une prime annuelle, avait alors retenu mon attention, ce que j'ai appelé plus tard l'effet "filtre à gasoil".

Selon la procédure, cette prime annuelle devait être versée avant l'été. Trois mois avant, les indicateurs devaient avoir été remontés, traités, comparés aux objectifs, arbitrés éventuellement, validés et payés.

Dans ce cadre, le rôle du service paie était de recevoir le tableau des primes et de la passer en paie, le dernier maillon pour que les primes soient versées en temps et heure.

En pratique, à la date de mon intervention, les choses avaient dérivées et étaient devenues toutes autres. Le responsable paie faisait le tour des services pour collecter les indicateurs, corrigeait ces derniers au regards des objectifs (certains objectifs visaient des indicateurs qui n'existaient pas qu'il fallait donc calculer), faisait valider les corrections auprès des chefs de service, sortait un premier tableau de prime pour chaque service, sollicitait les arbitrages puis, faisait la police jusqu'au dernier moment pour pouvoir tout passer en paie pour la date voulue.

Que s'est-il passé ?

C'est assez simple, peu à peu, au fil des années, les tâches liées à l'établissement de cette prime sont "descendues" dans l'organisation le long de la rivière procédurale. Les tâches aval d'abord (établissement des tableaux, demandes de validation) puis les tâches amont (collecte des indicateurs).

Au final, le service paie assumait l'ensemble du processus, sauf à obtenir les bonnes signatures, avec la charge de travail qui va avec.

L'activité d'un service paie étant très contrainte par les délais (les salariés sont aujourd'hui habitués à être payés chaque mois) et la technicité du personnel élevé, le management est quasi inexistant : ça tourne. C'est le genre de service dans lequel le seul moyen de "briller" est de faire une erreur.

Parmi les mesures préconisées, il a été proposé, sans surprise, que les indicateurs soient simplifiés et que les autres services concernés reprennent en charge les tâches qui leur incombent.

L'effet "filtre à gasoil" peut donc être décrit comme suit :

Il s'agit de la tendance pour une procédure ou un ensemble de tâches à migrer d'amont en aval vers le service ou la personne qui est effectivement en charge de la réalisation visible par tous de la performance attendue. Derrière lui, personne ne peut faire ce travail. Il est coincé. S'il ne le fait pas, personne ne le fera et le dysfonctionnement sera total, comme pour un filtre à gasoil. 

Dans mon exemple, le seul aspect visible par tout d'une prime annuelle est son paiement en temps voulu par le service paie ; les services placés en amont non seulement n'accomplissaient plus leur part mais critiquaient le service paie pour ses difficultés à gérer ce processus. Ainsi, ils s'étaient transformés, par la dérive, d'acteurs à censeurs des élégances.

Les conséquences d'une telle situation sont multiples et toutes dommageables (turn-over, maladie, difficultés à recruter, mauvaise ambiance de travail, baisse de qualité).

Quels sont les critères ?

Les principaux critères permettant de savoir si un service est susceptible de subir un effet "filtre à gasoil" sont :


Le management :

  • Le service n'entre dans aucun axe stratégique ou politique (sauf à exister et faire son travail : ça tourne tout seul). Les fonctions support sont sur-exposées.
Le service :

  • Le service n'est pas au cœur de l'activité de l'entreprise ou l'administration (service support ou ne bénéficiant pas de prestige en interne, ou un prestige de principe, une technicité forte mais non reconnue),
  • mais, paradoxalement, les attentes sont fortes,
  • Le service traite directement du réel : les clients externes (services d'urgences, SAV...) ou internes (salariés),
  • Par conséquent, ce service accompagne les évolutions du réel ou absorbe les changements de politique des autres services,
  • Les difficultés du service sont généralement minimisées voire niées (paie = presse boutons).
L'activité :
  • Le produit de li'activité du service est très visible, son activité est très exposée au regard critique (paie, communication),
  • L'activité du service est contrainte pas des délais courts (de l'immédiateté à quelques mois au plus),
  • Les données reçues sont de moins en moins formalisées et le service prend sur lui de les corriger pour les rendre conformes,
  • L'activité obéit à des contraintes de procédure fortes et strictes.
Les salariés :
  • Les salariés du service ont une technicité et une conscience professionnelle fortes.


Remédier à cela demande énergie, pédagogie, moyens, patience et un engagement sans faille de la direction.



Le mois prochain, pour le 14 juillet, une méthode d'analyse du fonctionnement d'un service inspirée d'un adage militaire :
à l'image du chef !


Thierry Cammarata

arbitrium14
Tel : +33(0)768871589

Mail : thierry@arbitrium14.fr

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