Gestion de crise (1) : Proposition de typologie

En situation de crise, le principal besoin du décideur est de pouvoir se situer rapidement afin de prendre rapidement et efficacement les mesures nécessaires.

Or, l'absence de typologie des crises de nature à permettre de satisfaire ce besoin est un frein à l'efficacité recherchée.

En entreprise, une crise est l'endommagement ou la coupure du lien entre son organisation (ensemble des ses moyens) et sa mission (prise comme l'ensemble des services fournis pour répondre aux besoins de ses parties prenantes). L'organisation contribue à la mission via la stratégie et la mission contribue à l'organisation via le modèle économique.

Les crises sont par essence atypiques et rendent incertains les moyens, mais surtout les méthodes auxquels le décideur a l'habitude de recourir. 

Une typologie efficace doit avoir deux qualités essentielles : elle doit permettre de décrire et classer la réalité en catégories cohérentes mais aussi de déduire un guide de pensées et d'actions possibles et elle doit permettre le lien entre la pensée et l'action.

Ainsi, à force d'en chercher une en vain remplissant ces critères, il m'est apparu nécessaire d'en créer une. Et je vous la propose.



Wikipédia nous dit qu'une typologie est une démarche méthodique consistant à définir ou étudier un ensemble de types, afin de faciliter l'analyse, la classification et l'étude de réalités complexes. Par extension, le terme typologie désigne parfois la liste des types propres à un domaine d'étude. Le terme doit alors s'employer au singulier : la typologie (singulier) détaille un ensemble de types (pluriel).

Or la plupart des typologies des crises que j'ai pu trouver sont essentiellement descriptives. Elles satisfont donc au mieux au critère de cohérence mais pas à celui d'efficacité.

Quelques exemples de typologies existantes :


Une typologie propose de définir quatre sphères selon deux axes : 

Axe horizontal : crise interne / externe
Axe vertical : technique / politique-organisationnelle

Cette typologie est simple mais bien trop statique. Si je détermine que je fais face à une crise technique externe, je fais quoi ?

Celle de Lagadec (1989)
  • Crises inimaginables
  • Crises négligées
  • Crises quasi-inévitables
  • Crises compulsives
  • Crises voulues
  • Crises profondément désirées
Cette typologie se fondent sur les origines de la crise. On peut en déduire une dynamique mais elle ne permet pas de synthétiser les approches de tous les acteurs. Une crise peut avoir été voulue par certains et négligée par d'autres…

Celle de Shel Holtz :
  • Crises météoriques
  • Crises de prédation
  • Crises de détérioration
  • Crises persistantes
Cette typologie se limite au monde des affaires et elle est parfois redondante.

Il existe d'autres typologies qui partagent la même dimension sectorielle (Voir l'article ici où j'ai trouvé la synthèse des premières).

Ces typologies sont intéressantes mais elles présentent, avec les autres non évoquées, plusieurs défauts. Certaines se limitent donc à un type de secteur d'activité ce qui réduit de facto leur champ d'application et toutes sont descriptives et ne prennent pas en compte l'aspect opératif.

Il est possible de remédier à cela.

Typologie des crises concentriques (2020)


Cette typologie repose sur une échelle de trois grands types de crises :

Le type 1 : la crise fermée,
Le type 2 : la crise semi-ouverte,
Le type 3 : la crise ouverte.

Cette typologie permet notamment de déterminer ce que doit être le niveau de réponse dans une entreprise, une organisation ou même pour un individu. Est-ce du niveau de l'opérateur (type 1) du management (type 2) ou de la direction (type 3) ?

Attention, cette typologie n'est pas liée à la nature de l'incident lui-même mais à l'échelle des conséquences possibles pour l'entité en tenant compte des effets de leviers, ou au contraire d'étouffement, qui peuvent tenir à la médiatisation, la politisation, aux contextes politique et sociétal.

Je précise que cette échelle n'est pas linéaire, une crise de type 2 ou 3 peut survenir sans être passé par les étapes précédentes, et subjective, c'est-à-dire attachée à la personne ou l'organisation qui s'interroge. Une même situation peut être vécue comme étant une crise de type 1, 2 ou 3 selon l'acteur concerné.  

Cette typologie peut également être une assistance en matière de communication de crise (non-traité ici).

Je vous propose de détailler ces trois types de crises.

TYPE 1 : la crise fermée

Les crises de type 1 se caractérisent essentiellement par le fait que la solution est dans la sphère du problème critique. C'est l'ampoule qui casse et que l'on remplace.

C’est par exemple l'organisation interne de l’entreprise qui est mise en tension. Le service est défaillant mais la prestation fournie n'est pas remise en cause.

La détermination de l’Objectif de sortie de crise est simple, évident, auto-justifié et il nous appartient totalement : mettre fin à la crise.

La fin de la crise est également facile à identifier. Il s'agit du retour à la normale.

Les modalités de gestion de la crise sont simples à anticiper : régime dégradé et maintien des fonctions vitales en attente de la mise en place de la solution de retour à la normale.

La préparation va donc consister en un plan de maintien des fonctions et des modalités d’intervention. L'action sera essentiellement réparatrice.

Une crise de ce type peut aussi être négligée et ainsi débute une lente dérive, génératrice de crises de type 2 ou 3.

Les crises de type 1 peuvent aussi révéler un problème plus profond notamment si elle deviennent fréquentes ou si elles risquent d'affecter la prestation, le service rendu et devenir ainsi une crise de type 2. 

TYPE 2 : la crise semi-ouverte

Les crises de type 2 sont des crises fermées (type 1) mais avec, en plus, des conséquences imprévues mais modélisables. 

L'organisation est mise en tension en interne et à la marge de sa sphère d’intervention. Le produit/service et la prestation fournie sont défaillants. C'est la crédibilité de la prestation qui est en jeu.

La détermination de l’objectif de sortie de crise est le plus souvent simple mais il ne nous appartient pas totalement même s'il peut être anticipé. Il reste toutefois circonscrit à la sphère d’intervention du service défaillant.

Il se peut même que le service doive être repensé. C'est le cas dans la plupart des crises de communication appelées aussi "badbuzz". 

Les assurances connaissent bien cette approche.

Par exemple, si votre voiture tombe en panne, au-delà du dépannage du véhicule (type 1), seront pris en charge taxis, véhicule de courtoisie ou une autre modalité afin finir votre trajet, voyage. Certaines personnes peuvent vivre un moment sans voiture, d'autres ont besoin d'un véhicule de remplacement, d'autres encore doivent absolument prendre un avion dans 2 heures. Cette attente du client peut être modélisée et même anticipée avec un offre commerciale spécifique par exemple.

Ainsi, la fin de la crise est marquée par le retour à la normale (réparation de la voiture, remplacement définitif, indemnisation) et l'accomplissement du service (transport, remplacement temporaire...).

Les modalités de traitement d'une crise de type 2 sont donc l'existence d'un régime dégradé et le maintien des fonctions vitales (taxis, fin de trajet) en attente de la solution (garage) et la proposition de moyens de substitution (location, véhicule de courtoisie).

La préparation des crises de type 2 implique une planification de maintien des fonctions et modalités d’intervention et l'évaluation de scénarios sur la bases des statistiques, de retour clients, de l'analyse de la concurrence (mise à niveau ou différentiation). 

TYPE 3 : la crise ouverte

La principale différence des crises de type 3 par rapport aux précédentes est que la détermination de l’objectif de sortie de crise fait partie de la crise et qu'il n'entre pas dans nécessairement dans la sphère d'intervention de l'entité en crise. Les conséquences sont imprévisibles et non modélisables.

L’organisation est mise en tension dans son intégrité (identité, existence) ou dans son environnement qui est chamboulé. On parle alors parfois de disruption. Le retour à la situation précédente est une option parmi de nombreuses autres ; elle n'est pas la plus probable. L'organisation, en tant que système, est elle-même en crise.

La notion même de fin de crise n’a pas de sens ici. Le modèle en lui-même est attaqué et l'émergence d’un nouveau (totalement ou partiellement) est inévitable. L'organisation ne peut pas ne pas changer. Dans cette situation le champ des possibles est immense ce qui est, à la fois, un chance énorme et un problème considérable.

Les modalités de l'action dans les crises de type 3 sont simples à décrire. En communication, dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit pour maintenir la confiance. Traiter au mieux l'urgence et très vite fixer le nouveau cap pour orienter ce que sera le changement né de la crise. Les références du passé sont le plus souvent vaines.

En entreprise, les crises rencontrées par KODAK, NOKIA ou BLACKBERRY ou encore, dans un autre domaine, VOLKSWAGEN avec le dieselgate sont clairement de type 3. Ces entreprises ont failli disparaître. Elles doivent leur survie à leur (tentatives de) réinvention. 

D'une façon qui peut sembler paradoxale, on peut très bien se préparer à ces crises de type 3 : avoir un sens stratégique développé, des valeurs fortes, une culture classique et populaire, le sens de l'anticipation de ce qui se passe aussi bien dans notre sphère d’action qu'en dehors.

*    *    *

Voici donc présentée ma typologie des crises concentriques. Je vous la propose. Elle est là pour être critiquée, complétée, discutée, confrontée. 

Vos retours me seront précieux.

Mais déjà, une crise sans précédent nous arrive.

Cas d'application au Covid-19 : crise de type 1, 2, 3 ?

Ou comment cette pandémie peut être qualifiée de type 1, 2 ou 3 ?

Quand j'ai commencé à travailler sur cette typologie, ils n'y avait que quelques cas en Chine. Mais depuis…

Ce qui est aujourd'hui une pandémie a d'abord été présentée par le gouvernement comme une crise de type 1.

Lointaine (Chine), cette "grippette" ne devait pas nous conduire à changer nos habitudes (théâtre, cinéma, vote). Notre système de santé gèrerait comme il l'a toujours fait. 

L'objectif ? Un retour à la rapide à la normale.

En quelques semaines, nous sommes passé en crise de type 2. La gravité et l'étendue des mesures à prendre, le confinement pour ne pas saturer le système hospitalier, mettent en tension les services rendus à la population (soins courants, nourriture, revenus). 

Le retour à la normal sera long est difficile et, en attendant, il s'agit, au-delà du défi logistique hospitalier, de maintenir ces services essentiels à la population (maintien des chaînes alimentaires, école à la maison, télétravail, chômage partiel, aides aux entreprises...).

L'objectif ? Un retour lent à la normale avec des enseignements et des adaptations.

Mais certains affirment que le gouvernement est en fait dans ce que je nomme une crise de type 3. Ils mettent donc logiquement en débat ce que sera la "sortie de crise" et les objectifs qu'ils voient sont autant de changements qu'ils présentent comme utiles, nécessaires voire inévitables (rémunération liée à l'utilité sociale, démondialisation, économie plus localisée, circuits courts...).

On note déjà que le manque d'acuité à utiliser la typologie va avoir des conséquences directes sur l'action et la communication. Cette typologie permet aussi de lire les discours des différentes personnes qui interviennent notamment quand elles évoquent la sortie de crise.

Ainsi, tous les acteurs (entreprises, individus), selon leur cas, peuvent se reconnaître dans l'un des trois types de crises. Celui qui n'envisage que le retour à la normale, qui fait le dos rond et se demande simplement quand il arrivera (lecture de crise de type 1) pour profiter au mieux des opportunités. Celui qui envisage un retour à la normale et l'adaptation nécessaire de certains secteurs aux risques d'une prochaine pandémie (lecture de crise de type 2). Celui qui pense que cette pandémie va, au fond, changer beaucoup de choses pour lui sans être en mesure de dire précisément quoi (lecture de crise de type 3).

Selon votre secteur d'activité, et le "pas de temps" qui lui est applicable, chacune de ces lectures est valable. Il s'agit seulement de ne pas se tromper.

De mon point de vue, et si l'on raisonne sur plusieurs années, nous sommes bien dans une crise de type 3. La gestion de cette pandémie et les changements qu'elle induit sont de nature à structurer durablement le débat public et économique des prochains mois et des prochaines années. Des barrières présentées comme structurantes ont sautés en quelques semaines. Le champ des choses possibles s'est étendu au-delà des cadres conventionnels.

Cette crise ouvre un temps éminemment politique, au sens noble du terme, dans lequel nous serons, je le souhaite, appelés à nous prononcer sur des propositions structurant ce possible.


« Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage. »

Paul Ricœur 

Thierry Cammarata

arbitrium14
Tel : +33(0)768871589

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