Covid et stratégie : premières leçons des errements du gouvernement français

Les errements de l'administration française, et du personnel politique, sur la pandémie de Covid-19 sont l'occasion de revoir quelques règles essentielles pour l'entreprise de la gestion et la communication en situation de crise.

L'une des principales erreurs faites en continu dans cette douloureuse affaire est l'absence d'un cap stratégique clair et énoncé.

La première conséquence visible de ceci est que, à la date où j'écris ses lignes, la gestion sanitaire, et bientôt économique, sera pire lors de la deuxième vague de contamination par le virus que lors de la première.


Comment cela a-t-il été possible ?

Je vous propose d'entrer dans le vif du sujet.

D'abord et avant tout, il convient de balayer quelques idées reçues.

"Cette pandémie est sans précédent"

Faux. Dans les années 2000 (pour ne parler que de celle-ci), une épidémie de même nature a frappé durement l'Asie. Elle n'est certes pas arrivée jusqu'en Europe ou en France mais le risque était réel.

"Les pays au gouvernement autoritaire s'en sortent mieux"
Faux. De nombreux pays aux institutions démocratiques ont bien géré cette pandémie (Taiwan, Nouvelle-Zélande, Corée du Sud, etc). Il semble en revanche que, démocratie ou pas, le narcissisme des dirigeants soit un frein majeur à une bonne gestion pandémique (nous y reviendrons).

"Les pays dirigé par des femmes s'en sortent mieux"
Plutôt faux. Ce sujet revient régulièrement. On voit fleurir ici ou là sur les réseaux sociaux des iconographies cherchant à mettre en évidence qu'un gouvernement dirigé par une femme s'en sort mieux dans la lutte contre le virus. A mon sens, il s'agit plus d'une corrélation que d'un lien de cause à effet direct. Mon idée est que s'en sortent mieux les pays dont la culture politique est plus consensuelle que dirigiste et que c'est dans ce type de pays que les femmes sont le plus en mesure de pouvoir accéder au pouvoir. Cela rejoint alors le point précédent.

"Nous n'avions pas les moyens d'y faire face"

Faux. Suite au risque de pandémie des années 2000, la France avait mis en place un stock de moyens propres à pouvoir gérer et un organisme de gestion dédié. Il a fallu une dizaine d'années aux les gouvernements français successifs pour savamment défaire l'un et l'autre de sorte que nous nous vîmes fort dépourvu lorsque la bise fût venue.

Cette situation est la source du péché originel.

Le péché originel

C'est l'expression utilisée par Alain Bauer pour qualifier le choix du gouvernement français de mentir.

En communication de crise, le mensonge est une option valable à condition qu'il s'inscrive dans une stratégie plus globale, un récit, qui lui donne un sens. Et que cela ne se voit pas trop… Mentir, ce n'est pareil que se moquer du monde.

Dans le cas particulier, du fait de l'absence de stocks suffisants de masques, le gouvernement a communiqué à ce sujet essentiellement sur deux axes :

  • Les masques sont là pour les professionnels de santé.
  • Ils sont inutiles pour la population (qui de plus ne sait pas les mettre correctement).

Or,

  • Les masques, et autres protections, étaient en quantité insuffisante même pour les professionnels de santé.
  • Le port de masques par la population, même si la preuve formelle de son efficacité n'était (peut-être) pas faite début 2020, était une protection supplémentaire. Pourquoi s'en priver ?

Le gouvernement avait donc deux options devant lui : dire la vérité ou mentir.

Dire la vérité de la situation n'était pas si compliqué.

La faute de l'absence de masques en nombre suffisant pouvait aisément être reporté sur l'action des gouvernements précédents et avouer ses éventuels manquements est un bon moyen de restaurer/maintenir la confiance et de fédérer la population pour livrer "la guerre au virus".

Au contraire, le gouvernement a donc décidé de mentir.

Le premier problème très vite apparu est que la population a compris la manœuvre, de nombreux témoignages ne laissant que peu de doutes sur la réalité de la situation. La confiance a été grandement obérée.

Ainsi, les masques étaient "inutiles" car inexistants et non pas inexistants car "inutiles".

Le récit dans lequel s'inscrit ce mensonge est facile à décrypter : l'Etat est infaillible. En revanche, ce mensonge ne s'inscrit pas dans un récit volontariste de l'abandon de soi pour le secours des autres pourtant très vite mentionner par les autorités.

Le deuxième problème, logistique celui-là, a été l'incapacité du gouvernement à obtenir la livraison des masques en quantité une fois la pandémie commencée. Il est en effet apparu que la production était insuffisante pour fournir tout le monde (au sens propre) dans un temps si court de sorte que la réalité a été longue à venir soutenir la fiction. C'est notre prochain point.

Narcisse et le réel

Il y a une grande différence entre l'entêtement et la ténacité.

Si la ténacité donne une place au doute, l'entêtement ne lui en laisse aucune.

Le doute, quel doute ? Celui qui permet au réel d'instruire la vérité.

Il n'y a pas de meilleure qualité humaine que l'humilité pour y parvenir.

Or, dans sa volonté de tout contrôler, le gouvernement français n'a pas su mettre à jour sa manière de prendre des décisions. Et, pour qui n'est pas attentif, la réalité de cette pandémie est fuyante.

En gestion de crise, il y a une grande différence entre une situation grave liée à un phénomène réel (pandémie, événement climatique) et une situation grave liée à un phénomène conventionnel (conflit, loi).

Si, dans le second cas, les jeux de paroles et de pouvoir sont essentiels, ils sont inopérants face au premier, sauf à maintenir la confiance. Le virus se moque bien de ce que nous pouvons penser ou dire sur lui, de la négociation ou du rapport de force.

Or la tentation est grande de gérer la pandémie comme un conflit.

Pourquoi ? Parce que c'est ce que nos gouvernants savent faire le mieux.

De plus, les indicateurs de suivi sont une représentation imparfaite de la réalité qu'ils mesurent. Dans le cas précis, ils sont parcellaires et sensibles à la durée, le tout sur une pandémie qui évolue de façon exponentielle.

Ces indicateurs du suivi de la pandémie de Covid-19 ne sont pas nombreux, ils n'en sont pas moins difficiles à lire. Le drame est qu'ils servent au gouvernement français dans une tentative de "pilotage fin", à vue, vouée à l'échec à partir de septembre 2020 au moins. Voici, schématiquement pourquoi.

Les indicateurs les plus utilisés sont les suivants :

Le nombre de personnes qu'une personne contaminée contamine à son tour (le fameux R), Le nombre et le taux de tests positifs / jour, le nombre d'hospitalisations / jour, le nombre d'entrées en service de réanimation / jour, le taux de lits de réanimation occupés et le nombre de décès / jour.

Publiés quotidiennement ou presque, ces indicateurs donnent donc une image  parcellaire et déformée de la situation qui peut conduire à l'illusion du contrôle. En effet, comme les étoiles déjà mortes dont la lumière nous parvient encore, ces indicateurs nous donnent une image retardée.

Ainsi :

(je donne ici des durées indicatives, l'idée est de comprendre le mécanisme décisionnel en jeu)

  • Le nombre de tests positifs / jour dépend du nombre de tests disponibles et de la pertinence de leur déploiement. Il donne une image de la situation il y a environ une semaine (entre la contamination et le résultat du test). Le taux de positivité dépend de la pertinence du déploiement au regard de l'objectif poursuivi (lequel ?). 
  • Le nombre d'hospitalisations / jour est une donnée fiable mais qui donne une idée de la contamination il y a environ 2 semaines.
  • Le nombre d'entrées en service de réanimation / jour est une donnée fiable mais qui donne une idée de la contamination il y a environ 3 semaines
  • Le nombre de décès / jour est une donnée fiable mais qui donne une idée de la contamination il y a environ 4 semaines.

Dans mon exemple, le nombre de décès renseigne sur la situation il y a près d'un mois et c'est l'indicateur le plus fiable.

Et plus l'information est récente, plus elle devient floue. Nous touchons les limites du pilotage de situation avec un tableau Excel.

A cela s'ajoute que le R est un calcul théorique qui n'a de sens que lorsque les autres indicateurs sont fiables... et que le taux de lits de réanimation occupés est la limite maximale au-delà de laquelle le 'système de santé" est considéré comme dépassé.

Ce n'est pas tout. Le retour d'information sur les actions entreprises aussi est retardé, pour les mêmes raisons. Entre 2 et 4 semaines pour savoir si une mesure fonctionne et comment. Sachant que si vous en mettez plusieurs en route en même temps et que vous les modifiez régulièrement, il ne sera pas possible d'en tirer des enseignements.

Donc, quand on décide d'une mesure aujourd'hui, c'est sur la base de données incomplètes qui donnent une image déformée datant de 1 à 4 semaines et dont vous ne verrez les effets que dans 3 semaines / 1 mois.

Nous sommes mi-novembre 2020. Le gouvernement a, pour décider, des données fiables qui datent de mi- à fin octobre et il aura un retour de son action autour de la mi-décembre.

Les informations disponibles ne sont pas fiables et il est impossible de mesurer à l'avance l'impact des décisions prisent. Cette situation porte un nom : incertitude.

Les données utiles et fiables au pilotage de la pandémie en temps réel seront disponibles quand elle sera terminée.

Cela a un effet direct, si vous tentez un pilotage fin d'une telle situation au regard des données remontées quotidiennement, vous avez constamment près de 2 mois entre les données de départ et le résultat de l'action.

A la date où j'écris ces lignes, le gouvernement s'entête avec cette approche qui se veut fine mais qui, en fait, le condamne à une gestion à la "godille" et à contre-temps.

Ferme sur les principes, souple sur les modalités

C'est l'une des bases d'une stratégie. Poser des axes forts, avoir une politique, et être plus souple sur les modalités de l'action car la réalité est complexe et mouvante.

Il est de plus inutile de cacher sa stratégie au virus, alors pourquoi ne pas la dire.

Le virus se comporte comme l'eau, il est dans sa nature de couler par toutes les voies qui lui sont possibles.

Le gouvernement français est passé maître dans l'art de faire l'inverse. Souple sur les principes, ferme sur les modalités. 

Par exemple, au début de la pandémie en France, le ministre de l'Education nationale vient à la télévision pour expliquer que "les écoles ne fermeront pas". Deux semaines plus tard nous étions confinés et sans école pour deux mois.

La France a d'abord sauvé sa population par un confinement généralisé. Puis a dé-confiné sans doute trop tôt et trop vite pour tenter de sauver l'économie et a laissé passer l'été. Enfin, depuis septembre, le gouvernement a tenté un pilotage fin, une sorte de voie médiane, pour préserver population et économie... une sorte d'entre-deux. On est loin de "l'Etat paiera" annoncé initialement par le président de la République.

Les pays qui échappent à cette deuxième vague sont ceux qui ont pris des mesures fortes mais surtout rapides et ciblées (sans attendre que les indicateurs dérivent).

La France n'est pas dans le tempo du virus. Depuis septembre nous prenons des mesures qui se veulent fines, progressives et périphériques pour préserver l'activité économique tout en maîtrisant la circulation du virus. Le gouvernement semble courir après les événements.

A l'époque, souvenez-vous c'était il y a deux mois, le gouvernement écartait l'idée d'un deuxième confinement et disait "tout faire pour l'éviter". Quarante-cinq jours plus tard, il re-confinait, enfin pas totalement. Las, et alors que l'épidémie s'étend malgré tout, il reste sur cet "entre-deux" jamais affirmé. 

Il se trouve donc réduit à traiter de sujets secondaires et sans impact notable sur la circulation du virus tels que la fermeture des librairies, ou de la circulation dans les couloirs des écoles. Et comme les chiffres continuent leur dérive, les décisions prises pour un mois sont revues au bout de 5 jours… (voir le cas des lycées). L'absence de stratégie annoncée a pour conséquence directe que chaque décision est discutable et donc discutée, que chaque adaptation est vécue comme injuste ou un recul et donc conduit, en réaction, à une fuite en avant.

Ainsi, par exemple, les librairies ont fermées comme les autres magasins de détails "non-essentiels". Les libraires ont crié au scandale et notamment à la concurrence déloyale des grandes surfaces qui, elles, restent ouvertes et qui ont des rayons de livres. Le gouvernement ne peut reculer, piégé. Il décide alors la fermeture des rayons de produits "non-essentiels", dont les livres, ce qui n'a plus rien de sanitaire. Les supermarché, à leur tour, se plaignent que les livres sont toujours vendus en ligne. Qu'à cela ne tienne, le ministre de l'Economie adresse une prière aux Français leur demandant de… ne pas commander sur Amazon.

Le gouvernement cherche donc à créer une cohérence en aval de décisions qui en manquent en amont.

L'explication souvent donnée est que les Français aiment râler, ce qui est sans doute vrai et sont indisciplinés, ce qui n'est sans doute pas fauxi.

Or, en ces domaines, il convient de "haïr le jeu, pas les joueurs". Ce n'est pas l'indiscipline de la population qui met en échec la "stratégie" gouvernementale, c'est au contraire l'absence de stratégie gouvernementale claire et affirmée, et la perte de confiance qu'elle génère, qui conduit la population à l'indiscipline.

Ce n'est pas à la population de deviner quel est le cadre général dans lequel les décisions prises à son égard prennent sens.

La nature (stratégique) ayant horreur du vide, celui-ci permet le déploiement de quantité d'autres stratégies, individuelles ou collectives, concurrentes qui contribuent grandement à la cacophonie et donc au désordre.

Cette absence de stratégie relève de l'incapacité à penser l'action de façon coordonnée.

La pandémie de Covid-19 en est le cruel révélateur.

Une stratégie ferme, claire et partagée permet :

  • que les mesures prises peuvent être reprises au regard de l'évolution de la situation sans passer pour un renoncement,
  • aux personnes qui vous écoutent de suivre vos recommandations sans pour autant y être contraintes, par discipline et non obéissance,
  • de recréer ou maintenir la confiance.
En pratique, pour la lutte contre le Covid et avant un éventuel vaccin ou traitement efficace, deux stratégies ont été menée :

  • Le laisser-faire, fondé sur l'idée de l'immunité collective,
  • le stop-and-go, avec confinement dur puis réouverture et re-confinement dès que les chiffres remontent allié à un ciblage des cas identifiés.
La première stratégie a souvent été abandonnée en cours de route face au risque, très concret, de voir le système de santé submergé par les malades et les morts.

La seconde semble montrer de bons résultats.

Conclusion

Le gouvernement français a commis de nombreuses erreurs stratégiques :

  • Un mensonge initial,
  • Une erreur sur la nature de la crise,
  • Une erreur sur son tempo,
  • Des axes stratégiques changeants qui confinent à leur absence,
  • Une absence de choix stratégiques qui conduit à l'impasse

Que retenir ?

En matière de stratégie :
  1. C'est elle qui permet d'agir efficacement et non la verticalité du mode de décision,
  2. Elle implique de faire des choix clairs,
  3. Avoir des axes, qui guident l'action, fermes, clairs et partagés et réserver la souplesse à l'action elle-même,
  4. Pas de stratégie sans rapport au temps,
  5. Elle permet l'adhésion de la population,
  6. L'humilité est essentielle pour tout ce qui touche au traitement de la réalité.
Et en matière de communication :
  1. Si on ne sait pas mentir, mieux vaut ne pas le faire,
  2. Avoir une communication signifiante et maîtrisée (et non bavarde ou anecdotique),
  3. Dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit pour maintenir la confiance.

Thierry Cammarata

arbitrium14
Tel : +33(0)768871589

Mail : thierry@arbitrium14.fr

LinkedIn : Thierry Cammarata - arbitrium14

Image par Fathromi Ramdlon de Pixabay 

Commentaires

  1. je suis bien d'accord avec cette analyse mais je trouve qu'il y a un manque , très important la stratégie gouvernementale et leurs choix les ont menés à faire des choix qui hélas ont provoqué des nombreuses morts qui n'auraient pas du être,ils devraient donc pour le moins répondre de mise en danger de la vie d'autrui qui pourrait être aggravée , pour euthanasie volontaire pour rappel l'autorisation d'injecter du Rivotril aux patients en attente de traitement, cela à paru dans la presse, et rapporté par les média or le Rivotril est donné en soins palliatifs de fin de vie pour abréger les souffrances, ce qui fausse le nombre de décès attribués au covid_19 d'ailleurs aucune autopsie n'a été programmée à ces malades décédés chez eux , dans les couloirs d'attente ou en maison médicalisée il ni à pas besoin d’être un scientifique pour penser cela il suffit d’éteindre la télévision et rallumer son cerveau j'ajouterais que le confinement le premier comme le second et sans doute le suivant , à bien plus l'air du'une assignation à demeure que de toute autre chose mais bien sur ce n'est que mon humble avis ....

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    1. Bonjour et merci pour votre commentaire.

      Je ne suis pas mesure de juger de l'emploi d'un médicament plutôt qu'un autre et je ne doute pas du dévouement des personnels soignants.

      Mon propos est que leur courage et leur ténacité a servi aussi de cache-misère de la gestion de cette crise sanitaire par l'Etat.

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