Le début de l'hiver marque une période propre à la réflexion, à la descente au cœur des principes qui fondent nos raisonnements.
Cette année, la question du management, et de ses stratégies, semble mériter cette plongée rafraîchissante au fond des abysses introspectives.
Qu'est-ce que le management ? Et surtout, qu'est-ce que l'introduction de ce mot dans la langue française au cours des années '70 a eu comme effet une fois passé au crible de notre culture ?
Ce billet n'a pas pour objet d'être exhaustif mais de pousser à la réflexion à partir de l'étonnement.
A la fin, je vous propose une matrice inédite sous la forme d'une boussole que j'introduis aujourd'hui et qui fera l'objet d'un développement le mois prochain et ainsi démarrer 2022 dans la meilleure des directions.
Mes deux étonnements se présentent comme deux questions: Quelle est la nature du management (doctrine ? savoir-faire ?) et quel est son rôle dans l'entreprise ?
1/ ENTRE THEORIE ET PRATIQUE : LE MANAGEMENT COMME CONSTRUCTION EMPIRIQUE
Le management est arrivé en France par des livres anglo-saxons dont la plupart exposent des principes : les principes du management.
Or, en France, on sait très bien ce qu'est un principe. C'est une règle simple, générale, venue d'en haut et connue de tous qui nous permet d'agir vite, de faire rapidement la part de ce qui est bien ou mal. C'est aussi un signe de reconnaissance entre toutes celles et ceux qui adhèrent à sa formulation. C'est l'approche dogmatique qui nous est si familière. Le management ne pouvait alors qu'être un succès. Ces principes sont souvent si intégrés qu'ils restent implicites ce qui surprend souvent les étrangers.
Dans le monde anglo-saxon, c'est plutôt la pratique qui est la source de ce qui "se fait" ou pas. Ainsi, face au foisonnement des pratiques et des cas, le travail de collection et d'organisation devient nécessaire. Ces cas seront rangés par catégories et certains principes seront dégagés. Pour la facilité de la compréhension, un cas sera retenu qui servira à la fois d'illustration et de démonstration.
Ainsi, dans cette approche, le principe est une règle contingente, venue d'en bas.
La conséquence est qu'en France un principe pourra avoir tendance à devenir un dogme (oubliant son origine) alors que dans le monde anglo-saxon ce même principe aura tendance à être discuté par l'évolution des pratiques observées.
Le rôle du chef devient alors différent : dans un cas c'est à lui de fixer les règles et les faire appliquer, dans l'autre cas, c'est à lui de les dégager de l'expérience et de les modéliser.
En France, remettre en cause un principe de management pourra être vécu comme une remise en cause de la direction elle-même, ce qui rend le processus de changement symboliquement douloureux et déstabilisant alors qu'ailleurs, il sera au contraire mal vécu de ne pas voir ou de ne pas prendre en compte des évolutions ce qui aboutit au maintien de principes devenus obsolètes.
Dans l'entreprise, le management intègre donc cette tension entre théorie et pratique. Il en intègre une autre : ordre et désordre.
2/ ENTRE ORDRE ET DESORDRE : LE MANAGEMENT COMME REDUCTEUR DE CONTRADICTION
La société occidentale moderne, issue de la révolution industrielle, repose sur un paradoxe. Elle prétend faire société avec deux principes, la liberté et l'innovation, qui sont, tous deux, subversifs.
Liberté et innovation sont subversives en ce sens qu'elles permettent, voire promeuvent, la remise en cause permanente de l'ordre établi, du statu quo.
Ainsi, au niveau sociétal, ce sont les lois sociales qui ont la lourde tâche de réduire cette contradiction et de faire en sorte que la liberté d'entreprendre et l'innovation ne détruisent pas la société et qu'à l'inverse les lois économiques doivent faire en sorte que la société, et son gouvernement, ne réduisent pas ces principes à néant.
Cette tension se retrouve au sein même de l'entreprise et c'est que nous appelons aujourd'hui management qui doit permettre à la liberté créatrice et à l'innovation de s'exprimer tout en maintenant un ordre organisationnel et productif.
Cette opposition classique est celle entre le cosmos et le chaos : l'ordre et le désordre. L'ordre permet le fonctionnement, la prévisibilité, la fiabilité. Le désordre permet l'émergence, le changement, le mouvement, la révolution (?).
Je vous propose donc en avant-première un outil inédit qui permet d'intégrer visuellement et pratiquement ces deux tensions irréductibles : théorie et pratique, ordre et désordre, sous la forme d'une boussole.
3/ LA BOUSSOLE STRATEGIQUE TPOD
Ainsi, la stratégie, du management notamment, se trouve tout entier contenu au centre de deux tensions irréductibles :
- la théorie et la pratique d'une part,
- l'ordre et le désordre d'autre part.
Quand on fait interagir ces deux tensions, d'autres choses encore émerges. Je les ai appelées : les lois, les procédures, les idées et les expériences.
Théorie et ordre produiront les lois, au mieux des lois structurantes, des concepts et des valeurs, au pire des dogmes rigides et des croyances limitantes.
Théorie et désordre produiront les idées, au mieux des idées innovantes et de l'inédit, au pire des hypothèses hors-sol et de l'irréalisme.
Pratique et ordre produiront les procédures, au mieux des procédures fiables et le respect du fonctionnement des choses, au pire des routines sclérosantes et de la bêtise.
Pratique et désordre produiront les expériences, au mieux des expériences enrichissantes et de l'inattendu, au pire des essais sans lendemain ou dangereux.
J'ai formalisé ces tensions dans une matrice qui permet notamment de modéliser la plupart des actions de management : la BOUSSOLE STRATEGIQUE TPOD.
Selon la situation observée et celle souhaitée, le manager peut identifier son besoin et le chemin pour y parvenir : créer plus d'ordre face au désordre, générer un désordre créatif face à la rigidité, confronter la théorie à la pratique ou capitaliser sur l'expérience le tout sur des échelles de temps allant de celle d'une simple conversation à des décennies.
Théorie et pratique, ordre et désordre seront vos point cardinaux.
J'ai placé théorie et pratique aux pôles nord et sud car au pôle nord, on ne peut marcher que vers le sud et inversement.
Il en est de même face à une théorie "pure" (si une telle chose existe), on ne peut qu'aller vers une mise en pratique pour l'éprouver et face à une pratique "pure", on est obliger de la théoriser un minimum ne serait-ce que pour la reproduire.
Dans la même idée, j'ai placé ordre et désordre (cosmos et chaos) vers ouest et est car la quête de chacun est infini, on peut toujours aller vers l'ouest… ou vers l'est. Ainsi, la quête d'un ordre ou d'un désordre absolu est une chimère. C'est la capacité à penser l'impermanence des choses qui est importante ici.
Lois, idées, procédures et expériences seront vos processus qui permettront la transformation.
La Boussole Stratégique permet donc de rendre visuellement compte des tensions mais aussi des mouvements évoqués plus haut. Elle permettra au manager de situer sa pratique mais aussi de contextualiser son action ou les exigences de son environnement. Vous avez votre carte du monde, la Boussole stratégique vous permet de vous y orienter.
Cette matrice est une création (une idée) qui a besoin d'observation et de confrontation (expériences) pour un jour, qui sait, devenir un concept de référence (une loi) et entrer dans la boîte à outil du manager (procédure). Cette boussole s'adresse notamment au manager pour évaluer son propre positionnement (style, zone de confort, appétence, point à améliorer), une situation (ce qui se passe, le besoin, le chemin), ou son environnement (la culture, le défi).
J'utilise cet outil depuis plusieurs mois maintenant et il est temps pour lui de prendre son envol. Je vous le confie avec ses possibilités et ses limites. Ce n'est pas un livre de recette toutes faites mais plutôt un cadre dans lequel déployer tout ce que vous savez déjà faire.
Vos retours me seront précieux.
Je vous souhaite à tous, et à chacun, de passer de très bonne fêtes de fin d'année. Prenez soin de vous.
Le management est le plus vieux des métiers et la plus récente des professions.
Lawrence Lowell
Thierry Cammarata
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Image par Wilfried Pohnke de Pixabay
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