Paysage politique français : la leçon du fer à cheval

Le paysage politique est souvent représenté sous la forme d'une frise ou d'un hémicycle allant de "l'extrême gauche" à "l'extrême droite" en passant par le "centre".

Cette représentation semble erronée notamment quand il s'agit de décrire les mouvements des électeurs. Il semble peu probable qu'un électeur se déplace d'un extrême à l'autre en passant par chaque parti politique intermédiaire.

En effet, il existe manifestement une porosité entre les extrêmes même si les appareils des partis concernés se refusent à le voir et en tirer toutes les conclusions pratiques. La meilleure manière de représenter ce paysage semble alors être un fer à cheval.


En stratégie, "l'art du bon concept", identifier la nature exacte du terrain sur lequel on évolue est essentiel, cela permet de comprendre les postures des différents acteurs. Cela permet surtout de voir les stratégies vouées à l'échec par essence, avant même d'avoir commencéi. C'est la règles des 3 "T" : le terrain, le terrain et le terrain. On se bat avec, pas contre le terrain.

C'est évidemment bien plus difficile quand ce terrain relève de la construction intellectuelle, du concept. C'est là que la représentation visuelle, la carte, prend toute son importance, avec toutes ses limites. Car, si dans la réalité, la carte sera vite démentie par l'observation, sur les questions plus intellectuelles, la carte peut survivre très longtemps à la reconfiguration ou la disparition de son objet.

C'est le cas de la partition gauche/droite du paysage politique français, née de la Révolution (industrielle).

Entrons dans le détail.

Gauche/Droite : un clivage traditionnel

Base de l'alternance et marqueur identitaire pour beaucoup de gens (je suis de gauche, je suis de droite), la référence à ce clivage est encore très présente dans les discours.

On pourrait représenter le paysage politique français traditionnel comme suit :

(le propos de ces schémas étant d'illustrer le déplacement du clivage et non l'histoire des partis, j'ai placé le nom des partis d'aujourd'hui sur une période où certains n'existaient pas encore ou pas sous ce nom)


Je place de façon un peu arbitraire le début de la fin de ce clivage en 1992 et le référendum sur le traité de Maastricht qui allait notamment aboutir à la mise en place de l'€uro. A cette période, le camp du "non" a commencé à se mesurer (un peu moins de la moitié des votes) mais aussi à traverser les "grands partis de gouvernement" (PS et RPR-UDF).

A l'époque, personne n'a tiré les conséquences stratégiques de ce vote, les questions européennes étant considérées comme un sujet politique comme les autres, sa dimension structurante était largement ignorée. Soyons rassurés, elle l'est encore de nos jours.

Mais déjà la tectonique des plaques politiques est en mouvement.

Gauche/Droite : un clivage flou

Si l'élection présidentielle de 2002 est une première alerte, c'est le référendum sur "la constitution européenne" et la victoire du "non" qui fige le nouveau clivage sans que l'ancien ne sombre. En effet, le nouveau clivage n'est pas incarné, centre-gauche et centre-droit continuant de jouer l'alternance. Le FN (RN aujourd'hui) dans son discours semble avoir vu ce mouvement venir au delà de la simple posture tactique avec le terme "UMPS" (RPR-UDF étant devenu UMP et PS).


Dans sa campagne pour sa réélection en 2012, le président Sarkozy va acter la nouvelle partition en abandonnant le champ du centre-droit. La président Hollande gagnera cette élection et actera cette nouvelle partition en choisissant résolument le centre-gauche, voire le centre, voire...

L'exercice du pouvoir est un révélateur cruel. Si la personnalité de Sarkozy a permis de retarder l'éclatement de son camp, celle de Hollande a favorisé celui du sien.

Las, le PS sera mangé par LFI et LREM. LR (nouveau nom de l'UMP), épargné par l'exercice du pouvoir résiste encore mais la partition interne est là.

The partition with no name

L'élection du président Macron en 2017 et le résultat du premier tour de l'élection présidentielle de 2022, avec 3 blocs à 20-25 % chacun actent cette nouvelle ligne de partage.

Evidemment, on pourra objecter tel ou tel mouvement tactique décisif, reste que le mouvement général est là et que la fusion des centre-gauche et centre-droit était à faire, elle est faite. Les deux "grands partis de gouvernement" sont à l'agonie : LR avec un grand écart impossible, quant au PS...


On ne peut vivre (survivre) sur le ligne de partage sur laquelle aujourd'hui se définissent les opinions sur tous les sujets.

La façon dont le discours général essaie de la traduire en mot est encore balbutiante mais la tactique pour gagner le jeu est claire : Prendre un adversaire principal sur lequel taper en permanence et flirtant avec l'adversaire secondaire qu'il s'agira de diaboliser une fois tous les 5 ans, au second tour. Et un seul des 3 camps peut se permettre cette souplesse, les 2 autres étant contraint de seulement s'opposer. La seule limite à cette tactique et l'absence de plan si le verrou du 2nd tour saute.

Mon hypothèse est que cette partition ne peut être nommée car les extrêmes ne peuvent fusionner comme les centres ont pu le faire. Tout ceci participe du manque de repères et donc du sentiment d'insécurité qui s'installe et auquel les politiques ont le plus grand mal à répondre.

Cette fusion impossible des extrêmes n'est pas liées à des questions d'ego ou de traditions politiques opposées mais à la partition traditionnelle des champs politiques nés de la révolution industrielle.

Ainsi, "extrême-gauche", "extrême-droite" et "extrême-centre" se retrouvent-elles à incarner respectivement (voir image ci-dessous) les trois modes de partition et de positionnement politique des grandes démocraties :

(je ne retrouve pas l'origine de cette excellente image)

Il est presque drôle de noter que, si tous cherchent la sécurité, les progressistes la cherche dans la reconnaissance de la valeur de chacun quelque soit sa contribution, son rang (estime de soi), les conservateurs la recherche dans le lien à un pays, une nation, une civilisation (appartenance) et que les libéraux la recherche dans la réussite, le mérite (réalisation de soi). Sécurité, appartenance, estime de soi, réalisation de soi : Maslow et sa hiérarchie des besoins encore et toujours. Mais je m'éloigne...

En France, en pratique, cette situation peut donner le sentiment d'une alternance, ou d'aller vers un gouvernement, impossible.

Et demain ?

Ces questions pourront très bientôt sembler anecdotiques. 

Le duo infernal climat/énergie remplace le débat pour/contre l'UE qui devient obsolète. L'Europe est le seul continent à dépendre totalement de l'extérieur pour ses approvisionnements et à ne pas avoir mis en place de politique de puissance. La guerre en Ukraine sonne ici, aussi, comme un révélateur cruel. L'UE est condamnée à réussir.

Or, les trois grands leviers démocratiques que sont donc progressisme, conservatisme et libéralisme reposent tous sur un fondement non-dit : la croissance économique née de la révolution industrielle et la destination préférentielle de son surplus annuel. Elle seule peut venir réaliser les promesses de chacun : aller vers plus. Or la contrainte énergétique interdit tout cela, par le prix d'abord, par la rareté ensuite.

Nos institutions seront-elles capables de résister à cette tension alors qu'elles sont attaquées sur leur fondement même ? La réponse semble être dans la question.

D'ailleurs, nous, en France, ne sommes pas les seuls concernés.

Si j'étais provocateur, je dirais que l'avènement du cheval de fer a mis à bas l'ordre social ancien, le fer à cheval en tracera-t-il le nouveau ? Une chose est sûre, notre temps n'est pas à l'ordre mais à l'émergence, à l'irruption, la surprise.


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Voici ce qui explique pourquoi les négociations climat patinent depuis vingt ans, et vont continuer à le faire un certain temps : comme

CO2 = PIB,

préserver le climat revient ni plus ni moins à discuter de la meilleure manière de faire décroître le PIB en douceur.

Dormez tranquilles jusqu'en 2100, et autres malentendus sur le climat et l'énergie (2015), Jean-Marc Jancovici, éd. Odile Jacob, 2017  (ISBN 9782738136411), p. 185



Thierry Cammarata

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