Faire des choses qu'on ne sait pas faire

Billet plus personnel pour ce mois d'août suite à une conversation avec un ami sur le thème de l'expérience professionnelle.

Pour lui, à moins de 20 ans d'expérience dans un domaine ou un secteur, on ne peut raisonnablement dire en avoir fait le tour alors que je soutenais l'inverse sur une base certes fragile, mon expérience personnelle. Et au cours de la conversation, je finis par dire :

"Dans ma carrière, on est venu me voir quand il s'est agit de faire les choses qui n'entrait dans les compétences de personne, dans les miennes non plus." 

Il existe beaucoup de croyances autour de l'expérience au travail, sa valeur, sa durée. Cinq années d'expérience réussies dans le même poste sont-elles un gage de sécurité, d'ennui, ou d'autres choses ? Ma croyance est qu'il est bon d'être capable de faire des choses inédites.

Et s'il y avait une expérience de la nouveauté, un savoir-faire du parachutage, que trouverait-on à l'intérieur ?


Je vous propose de voir ensemble le parcours que quelqu'un que je connais bien à qui il n'a jamais été demandé de faire des choses qu'il savait faire, d'explorer 20 ans d'(in)expériences dans le conseil en management.

Apprendre, en toute occasion, tout le temps

Cela a commencé par une année de service militaire comme officier de gendarmerie qui se poursuivra par 10 ans de réserve opérationnelle en gendarmerie départementale.

J'y ai appris énormément évidemment, mais ce qui ressort c'est l'humilité face au terrain, aux méthodes éprouvées des anciens et au débriefing de sa propre performance. La grande leçon que j'en ai tiré est que tout doit être occasion d'apprendre et d'apprendre sur tout. En effet, aucun savoir, de la mécanique quantique à la préhistoire, ne peut se vanter d'être inutile, même en entreprise.

Peu-à-peu, et sans efforts particuliers, une collection immense se constitue, des astuces les plus simples aux principes le plus fondamentaux. L'objectif ? Entrer très vite dans n'importe quel sujet, n'importe quelle situation, dans n'importe quelle organisation avec les outils propres à s'y plonger avec un optimisme à toute épreuve tout en maîtrisant un doute omniprésent.

Pour la route, et à titre d'illustration, je vous propose deux principes fondamentaux qui m'accompagnent et dont j'ai pu observer, lorsqu'ils ne sont pas suivis, d'où les tentatives sympathiques mais vaines de bricolage :

  • Un objectif SMART doit être sous le contrôle de la personne concernée,
  • Dans une situation où les personnes doivent coopérer pour un bénéfice mutuel, il faut un système d'exclusion effectif.

Est, par exemple, contraire au premier principe un système de gratification fondé sur le montant ou le volume des ventes (pourtant fréquent). 

En effet, une vente n'est pas sous le contrôle du vendeur, mais du client. Au mieux ce contrôle sera-t-il partagé. Vendre ne peut donc être un objectif SMART. On le voit facilement avec les trésors d'imagination nécessaire à éviter ou contrer les effets de rente ou pour faire passer un vendeur d'un secteur à la clientèle mature et captive vers un secteur à la clientèle volatile ou à développer. On ne gratifie pas la qualité du vendeur mais la capacité de la clientèle à acheter.

Il en va de même avec le second. Il n'y a pas de moyens d'éviter les comportements de passager clandestin qui consistent à essayer de tirer profit de la coopération de tous sans soi-même y contribuer (s'échanger des informations, maintenir des lieux propres, etc.). En l'absence de risque d'exclusion, rapidement les participants seront de moins en moins nombreux à contribuer ce qui conduira à la fin de la coopération. En effet, d'intelligent, coopérer devient naïf, voire bête. Cette situation est aussi appelée la tragédie des biens communs.

Vous trouverez j'en suis sûr d'autres exemples dans lesquels l'inobservation de ses principes conduisent à des aberrations, des situations perverses.

Cette masse de connaissances générales doit inviter à être curieux de tout et de tous.

S'intéresser aux autres

Une bonne connaissance de l'âme humaine et de ses tourments, des enjeux relationnels et de pouvoir et un minimum de culture est utile. On ne réussit jamais sans les autres.

Dans chaque mission, j'ai eu besoin des autres et de leur confiance pour mener à bien le travail. Comment ? En étant sincère avec eux. J'ai mené des audits, des enquêtes internes sans chercher à juger les gens (alors que la pression a pu être forte dans ce sens) mais pour comprendre ce qui s'était passé et agir sur les causes réelles et profondes des dysfonctionnements observés. Bref, être efficace avec des réponses effectives et durables.

Il s'agit aussi d'assumer le conflit : tout le monde ne sera pas heureux du principe, des modalités ou des résultats de l'intervention. C'est là que l'ensemble des points précédents et celui-ci contribuent à rendre la mission robuste.

Or, toute organisation ou équipe projet repose essentiellement sur les gens qui la composent. Et l'un des levier essentiel de leur succès est la clarté.

Clarifier les enjeux

Je suis devenu avocat en janvier 2001 et j'ai plaidé mon premier dossier le premier jour à 14 h. Savais-je plaider ? Non. Connaissais-je le dossier ? Pas avant 11 h et dans les très grandes lignes.

Qu'ai-je fait ? Rechercher la logique d'ensemble, l'articulation des points saillants et manger un sandwich. Ma plaidoirie a été courte, directe et, comme je parlais en défense, j'ai pu rebondir avec humour sur deux ou trois remarques de l'adversaire. Juge content, moi fini. Je n'ai plus jamais fait que ça.

J'ai aussi vite compris une autre loi fondamentale : dans un procès, un litige, une recherche de responsabilité, il n'y a jamais que deux parties : l'une qui a intérêt à la clarté et l'autre au flou.

Or clarifier une situation, faire émerger le véritable enjeu, allier capacité d'analyse et esprit de synthèse, est une plus-value jamais mise en avant et c'est une erreur car c'est certainement la meilleure aide à la décision que l'on puisse fournir. Cela permet aussi l'action directe.

Privilégier la clarté au flou est un choix exigent et qui engage ma pratique. C'est un fondement de la confiance.

Clarifier un enjeu ou une situation n'est rien sans une action décisive.

Agir

Je serai bref à ce sujet car il est trop spécifique. Mon seul conseil sera d'avoir une boîte à outils simples, solides et maîtrisés mais toujours maniés dans une approche systémique. Le management, par nature, exclut toute approche simpliste comme problème-solution.

Ces outils ne sont pertinents que s'ils peuvent être mis en œuvre par les acteurs. Un point essentiel est de transmettre l'état d'esprit dans lequel ils doivent être appliqués. Par exemple présenter un outil de communication non violente sans préparer les personnes à l'idée que son but est de préserver le lien avec l'autre n'a pas de sens.

L'objectif est d'être décisif. Mais la mission est souvent courte et il faut que les bienfaits perdurent. Pour cela, il faut communiquer efficacement.

Communiquer efficacement

Il m'a fallu des années pour rédiger des courriers ou des mails corrects, parler en public avec ou sans support de façon fluide et parfois intéressante.

La base est de connaître les différents leviers de motivation génériques qui permettent facilement de parler à tout le monde. Mais il faut aussi maîtriser le volet rédactionnel.

Cela est venu essentiellement de la nécessité de converser en anglais, se confronter à d'autres formes de rédactions, de formulations pour une communication claire et surtout efficace.

Un idée simple est de commencer par la fin, donner la réponse au début. Or la rédaction classique (comme je le fais ici) consiste le plus souvent à introduire son sujet, à développer son argument et à conclure par la réponse. Cette démarche est salutaire mais pourquoi la garder jusqu'à la forme finale.

Chaque interlocuteur a des besoins différents. Dans la rédaction classique, tous doivent tout lire pour trouver la réponse. Mettre la question et la réponse au début permet de réduire le temps de lecture de ceux qui n'ont pas besoin de plus.

Pour aller plus loin, on peut imaginer une réponse en trois temps pour les mails importants :

  • La réponse (pour les destinataires qui ont un besoin "utilitaire" de la réponse),
  • Un résumé de l'argumentaire (pour ceux qui ont un besoin de la comprendre),
  • L'argumentaire complet (pour ceux ont besoin de pouvoir l'analyser).

Autres exemples, développer la représentation graphique, le dessin ou tenir un blog pour tester, organiser ses idées est un plus.

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Si je devais donc résumer en quelques traits le savoir-faire acquis à faire des choses que je ne savais pas faire :

  • Apprendre (acquérir du savoir),
  • S'intéresser (savoir-vivre),
  • Analyser / synthétiser (rechercher et créer du savoir),
  • Clarifier (faire émerger du savoir pour décider, agir),
  • Agir (savoir-faire-faire)
  • Communiquer (faire-savoir).

Chacun de ces items se conjugue aux autres. C'est un ensemble. Aussi, c'est tout le processus cognitif de recueil, traitement, stockage et restitution de l'information qui est sollicité. Cela demande beaucoup d'énergie et c'est très exigent pour les personnes tant physiquement qu'émotionnellement ou mentalement.

Être régulièrement confronté à devoir agir dans ces situations nous obligent à être plus humain.


La véritable école du Commandement est la culture générale.

Charles de Gaulle / Vers l’armée de métier


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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