« Un coup Yin, un coup Yang, c’est comme cela que tout fonctionne »

Le management actuel cherche à s'ouvrir à de nouvelles pratiques qu'il a pourtant du mal à intégrer : écoute active, bienveillance, communication non violente (CNV).

Si ces efforts sont souvent sincères, cette difficulté tient notamment au fait que ces pratiques cachent en vérité un changement conceptuel qui reste impensé. Ils ne s'agit pas simplement d'étoffer une boîte à outils déjà pleine mais d'ouvrir un champ du management trop longtemps ignoré.

Il y a bien quelques tentatives pour nommer ce champ -management bienveillant, servant manager, manager-coach ou management féminin…(!?)- mais tous échouent car il n'est ni nouveau, ni un remplaçant, ni un opposé mais un complément tenu dans l'ombre. 

Il s'agit de faire cesser une hémiplégie managériale.

Or, il existe un nom depuis des siècles, mais qui ne vient pas de chez nous : yin-yang.

Cela fait des mois que je tourne autour de ce sujet. Comment faire percevoir l'essence de cette notion si largement mal comprise et résumée/trahie par l'opposition stérile jour/nuit, homme/femme ou bien/mal ?

L'entreprise est hasardeuse alors que le management occidental est fondé sur la croyance en la supériorité de l'action sur l'inaction.

Comment traduire Yin-Yang ?

Yin-yang est un seul mot composé. Il n'y a donc pas "le yin et le yang" mais le yin-yang.

Pour ce qui suit, je me réfère aux travaux de Cyrille JAVARY.

Pour bien comprendre Yin-Yang, il faut employer des verbes d’action, pas des noms ni des adjectifs. 

Yin est ce qui stabilise et nourrit, Yang ce qui dynamise et pousse à changer. 

Yin ce qui défend, Yang ce qui attaque. 

Yin ce qui mène à terme, Yang ce qui enclenche.

Yin ce qui intériorise, Yang ce qui extériorise.

Il en propose une traduction innovante* : 

Yang serait la force et Yin, la solidité.

Cette traduction a l'avantage énorme de faire le lit de tout positionnement moral : il n'est en effet pas mieux d'être fort plutôt que solide.

Pirelli, dans son célèbre slogan, et sans doute sans le savoir, ne disais pas autre chose : 

Sans maîtrise, la puissance n'est rien.

Ainsi, pour les organisations, les "stratégies yin" consistent à bénéficier d'une base solide qui leur permettra de déployer leur force.

En pratique, en entreprise, les débats sur les stratégies de management se partagent entre celles, classiques, prônant une approche plutôt yang-yang (verticalité, action, volonté, contrôle...) et celles, "nouvelles", prônant une approche plutôt yin-yin (horizontalité, consensus, entreprise libérée, sociocratie...), chacune tirant de ses bonnes raisons d'origine une validité inconditionnelle.

Le management, c'est ce qui reste quand le manager n'est pas là. 

En psychologie du développement, est appelée permanence de l’objet la connaissance par l’enfant que les objets qui l’entourent existent à l’extérieur de lui, mais aussi et surtout qu’ils continuent d’exister, même s’il ne les perçoit pas via l’un de ses sens. Il apprendra vite que ses parents continuent d'exister même quand ils disparaissent derrière la porte.

Devenu plus grand, cela semble si évident qu'on en oublie qu'il s'agit d'un apprentissage.

C'est sans doute la raison pour laquelle le manager peut laisser la porte de son bureau fermée -à condition d'en avoir une…- sans crainte de disparaître. 

Le permanagement ou l'éterneleadership ?

Le versant yin des stratégies est de nature à favoriser ce management permanent, cette posture générale qui continue à agir en notre absence mais aussi qui soutien la force de nos outils ou de nos actions.

Le versant yin des stratégies

À proprement parler, les stratégies yin n'existent pas de manière isolées. Il s'agit de les nommer "le versant yin des stratégies".

Pour illustrer le champ, -que dis-je ?- l'océan bleu du versant yin des stratégies, je vous propose une image tirée de la physique de 3e : énergie cinétique et énergie potentielle.

L'énergie cinétique se définit comme étant l'énergie que possède un corps en raison de son mouvement (yang).

L'énergie potentielle se définit comme étant de l'énergie emmagasinée qu'un objet possède en raison de sa position ou de sa forme (yin).

Le versant yin d'une stratégie de management consistera donc à s'appuyer de façon préférentielle sur le potentiel d'une situation plutôt que sur ce qui pourrait être fait pour contraindre, empêcher, imposer, forcer.

Si je prends l'image d'un fleuve dont on souhaite éviter les débordements et canaliser le cours, une façon d'agir est de créer (yang) un barrage. Une autre est de s'appuyer sur la nature de l'eau, qui est de couler vers le bas, et favoriser (yin) son évacuation en creusant son lit par exemple.

Évidemment, en fonction de la situation réelle, l'une ou l'autre des possibilités, ou les deux ensemble pourront être mise en œuvre. Dans mon exemple, le versant yin de la stratégie sera de s'appuyer sur la nature de l'eau qui est de couler en favorisant ce mouvement plutôt que de s'y opposer. 

Mon propos est de systématiquement évaluer les deux et leurs synergies. 

Souvenons-nous que si la grande muraille servait à arrêter les hordes venues du nord, elle permettait aussi, par sa largeur, de faciliter la communication et le déplacement des troupes est-ouest.

Il y a quelques années, à la demande de mon employeur et alors que je ne connaissais du yin-yang que le disque noir et blanc, j'ai accompagné une jeune femme, cadre, avec qui "ça se passait mal". Avec elle, j'ai rapidement compris que sa communication avec ces supérieurs devait être améliorée et qu'elle n'avait pas confiance dans son anglais en rendez-vous ou au téléphone alors qu'elle était d'un bon niveau et en tout cas très suffisant.

J'ai été assez directif sur les modes de communication pour corriger facilement et vite le tir (yang). Pour l'anglais, nous avons fait quelques appels ensemble puis, rapidement, comptant sur son potentiel, je lui ai laisser faire un appel seule (yin). Tout c'est très bien passé.

Cette stratégie yin-yang a permis de régler l'essentiel des difficultés en l'espace de trois semaines. La dame était transfigurée. L'employeur, lui, était moyennement content, j'ai compris que la vraie demande était de constater la nullité de cette personne pour la virer. Mission ratée, donc...

Quand j'y repense, je me dis que sur la question de l'anglais, je n'ai vraiment rien fait.

Le wu wei

L'étude sommaire du versant yin de la stratégie nous mène au wu wei. Il est souvent mal traduit par ne rien faire ou le non agir.

Évidement, notre esprit à vite fait d'y voir de la passivité, du laisser-aller. Le lâcher-prise pour les plus optimistes.

Pour bien comprendre, je mobilise encore Cyrille Javary qui nous offre une lecture des deux idéogrammes qui forment ce mot. 

Le premier représente des hommes qui brulent une parcelle pour la défricher et y cultiver. Cet idéogramme renvoie donc au vide ainsi créé mais pas au rien. La terre défrichée est vide mais elle est pleine de la promesse d'une récolte future rendue possible. 

C'est un il n'y a pas qui promet un il y aura.

Le second figure le cardage de la laine, c-à-d le démêlage de fibres de laine sur une sorte de brosse métallique. Cette scène n'évoque pas simplement faire mais forcer compte tenu de l'énergie nécessaire pour accomplir cette tâche alors que tout dans la laine tondue vient contrer cette démarche.

Ceci posé, le sens de la formule s'éclaire : ne pas forcer les choses.

C'est le plein potentiel de la situation que l'on nous invite à laisser se dérouler.

*    *    *    

En réunion, à la question :

"Que pensez-vous faire ?"

Avez-vous déjà entendu répondre :

"Rien, avec un peu de patience et d'attention bienveillante, cette situation est sur la bonne pente et va naturellement rejoindre sa solution, je ne veux rien faire qui puisse retarder ou empêcher ce processus" ?

C'est pourtant ce phénomène que l'on peut appeler la transformation et non le changement qui implique une action directe et concrète.

C'est aussi cette approche qui permet la permanence de la posture et réserve l'énergie pour les actions parfois nécessaires.

C'est encore cette approche qui solidifie vos politiques et donne la force aux paroles.

Le temps yin est donc premier. Il précède le celui yang et ainsi de suite.

Ce texte est une évocation de la richesse infinie de ces notions à peine effleurées, une invitation à aller plus loin.


La nature donne a priori, sans idée de retour. 
Donner sa confiance a posteriori, c'est comme si la nature disait à une fleur : 
- Soit belle et je te nourrirai.

Laurent CHATEAU

 

Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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Image par David Mark de Pixabay

*Le Discours de la Tortue (éd Albin Michel) p 34

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