Management, pouvoir et domination

Le premier jour d'une formation en management, le formateur entre dans la salle avec une enveloppe à la main :

- Bonjour à tous, avant de commencer, je dois vous dire que j'ai écrit une prédiction qui se trouve dans cette enveloppe. Nous l'ouvrirons en fin de journée.

La fin de la journée arrive et un des participants demande ce qu'il y a dans l'enveloppe. Le formateur la lui tend et lui demande de lire son contenu à haute voix. Il n'y a qu'une phrase :

- Cette formation se finira sur la question suivante : 

Comment gérer son chef ?


Les mots pouvoir et domination sont totalement absents de la littérature managériale ou sur le leadership alors qu'on ne parle que de cela.

Le mot pouvoir peut avoir un sens bien trop large pour être utilisé correctement. Pour les besoins de la réflexion du jour il n'aura que le sens du pouvoir hiérarchique dans une organisation et son exercice.

Le mot domination sera pris dans le sens d'une opposition de volonté visant à imposer la sienne à l'autre dans une relation personnelle directe de type dominant / dominé.

Un des grands problèmes du management est que ces deux notions sont absentes ou confondues dans les écrits qui y sont consacrés.

Le pouvoir se reçoit et implique notamment participation, décision, responsabilité, consentement, discipline, sanction.

La domination s'impose et implique notamment emprise, jugement, irresponsabilité, soumission, dépendance, punition.

S'il nous est parfois si difficile de différencier les deux, c'est certainement qu'il n'est pas rare de trouver des tentatives de domination au sein du pouvoir hiérarchique (harcèlement ?).

Il est peut-être même nécessaire à toute personne en situation de pouvoir d'être en mesure de faire preuve de domination ne serait-ce que sous forme de contre-domination quand une autre personne cherche à la soumettre.

J'ai rencontré plusieurs manageurs ou dirigeants, femme ou homme, tellement terrorisés à l'idée d'être vu comme dominant qu'ils renonçaient même à l'usage de certains outils du pouvoir hiérarchique et qui se sont retrouvé sous la coupe dominatrice d'un ou d'une subalterne.

Pouvoir et domination sont des notions qui permettent de faire la part entre bons et mauvais managers en évitant le piège parfaitement mis en scène par Les Inconnus dans un sketch célèbre sur les chasseurs.

Vous pouvez vous arrêter ici, si cela vous convient ou poursuivre pour accéder aux détails. J'y développe des caractéristiques de ces deux notions sans toutefois pouvoir appréhender toutes les nuances que la réalité quotidienne nous donne à voir.

Le pouvoir

Le pouvoir se reçoit.

Même quand on le prend, le pouvoir se reçoit. Un dictateur qui le prend par la force se sent toujours obligé de mettre en scène une remise du pouvoir symbolique par une entité supérieure (cérémonie de couronnement, renvoi à la tradition, reconnaissance par la cour constitutionnelle, lignée ancestrale, etc) avec une couronne, un serment, une médaille ou tout autre signe. 

Le pouvoir est partagé.

Dans une organisation hiérarchisée, le pouvoir est partagé de plusieurs façons :

- Avec ses chefs à qui on rend compte de nos décisions et actions,

- Avec nos pairs quand l'organe de décision est collégial par exemple,

- Avec nos subordonnés quand on les consulte avant de décider.

Le pouvoir est décision.

Le seul véritable outil du pouvoir est la prise de décision. Elle est prise avec le reste de la structure via les mécanismes participation déjà évoqués pour accomplir la mission de l'organisation.

Le pouvoir est responsabilité.

Corollaire du point précédent, le pouvoir implique la responsabilité (response ability?) d'accepter les honneurs et d'assumer les conséquences de ses actes ou de ceux de ses subordonnés envers l'extérieur de l'équipe. Le collaborateur assume sa responsabilité face à nous.

Le pouvoir est consentement.

La subordination est consentie (contrat de travail, statut dans la fonction publique). Elle obéit à des règles qui en garantissent à la fois l'effectivité et les limites.

Le pouvoir est discipline.

Le subordonné a été écouté mais son avis n'a pas été suivi. Son consentement à suivre malgré tout la décision prise est la discipline. La discipline ne se limite donc pas à la simple observance des règles mais à agir dans le sens du consentement donné et renouvelé.

Le pouvoir est reconnaissance et sanction.

Les mécanismes de reconnaissance ou de sanction permettent la régulation de la structure hiérarchique. Elles sont à la fois justifiées et mesurées.

La domination

La domination est le résultat d'un conflit nécessaire pour les personnes qui ne conçoivent les relations que sur un axe dominant / dominé et dans lequel ne pas dominer conduit à être nécessairement dominé.  

La domination s'impose.

Comme une botte qui écrase un visage, la domination ne s'embarrasse d'aucun décorum. La personne est en conflit avec vous, point.

La domination est emprise.

L'emprise consiste à vous faire faire des choses que vous n'auriez jamais faites sinon et qui vont contre vos intérêts ou vos valeurs. Le dominant va chercher à ce que vous n'ayez d'autre horizon que d'avoir recours à lui (isolement, placardisation).

La domination est jugement.

Dans ce cadre, le jugement est perverti est devient un outil pour prendre le dessus. Les faits et les sentiments s'effacent et ne restent que les opinions orientés selon les besoins du conflit en cours.

Les décisions ne sont pas prises pour accomplir la mission de l'organisation mais contre une partie de l'organisation sur la base de jugements négatifs qui ne seront pas remis en cause.

La domination est irresponsabilité.

Le dominant demande aux dominés de le protéger. Si le manager doit normalement assurer la sécurité de ses équipes, le dominant assure sa propre sécurité au moyen de l'équipe. Même si cela peut sembler paradoxal, la victimisation est un mode de domination.

La domination est soumission.

C'est la seule issue possible, attendue, recherchée. Attention, je le rappelle, un subordonné peut essayer de mettre en place une domination sur son chef. La question du consentement est abolie, la personne est réifiée.

La domination est dépendance.

Loin de faire confiance à une forme de loyauté, la domination vise à créer une dépendance directe dans laquelle le dominé va chercher à anticiper la satisfaction des besoins du dominant et va négliger totalement les siens. Dans le cadre du conflit, la personne placée en situation de dépendance se verra, par exemple, reprochée de ne pas être autonome, la dissonance ainsi crée assurant l'emprise vue plus haut.

La domination est séduction / punition.

La réalité n'existant qu'au travers du sens qu'il lui donne, le dominant va se comporter comme l'arbitre qui considère qu'il y a faute du simple fait qu'il siffle. Il cherchera tour-à-tour à séduire ou à punir selon le besoin du moment.

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Je dédie ce texte à toutes celles et ceux qui ont ou ont eu leur vie, leur carrière, brisée de n'avoir pas pu / su faire cette distinction, faire ce qu'il fallait, demander ou obtenir de l'aide.

Ce texte est bien moins dédié à celles et ceux qui ont trouvé dans le pouvoir hiérarchique le moyen de faire gérer leur névrose par leur équipe.


Vous êtes marié, comme moi ; vous savez que 

la monstruosité peut prendre des formes très diverses.

Léodagan à Bohort

Kaamelott - Livre I, L’Escorte



Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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