Stratégie : Qui Est Mon Adversaire ?

Samedi 8 août 2009, quelque part en région parisienne, dans mon bureau de responsable RH.

Dans cette entreprise, on travaille aussi le samedi, sauf le personnel support auquel j'appartiens. Pourtant, ce matin là, à 9 h, j'ai un rendez-vous que ne n'ai pu placer à un autre moment.

9 h 05... 10... 15... personne ne vient, et personne ne viendra.

Écrire, dessiner, comprendre, décider

Foutu pour foutu, j'ai deux heures tranquille devant moi, un luxe. Je sors mon cahier et je commence à écrire : méthode de raisonnement tactique (MRT).


Cela fait un mois que je suis en poste et je commence à comprendre comment les choses fonctionnent. Mon directeur m'a chargé de mettre en place un changement important, changement sur lequel la personne qui m'a précédé s'est cassée les dents.

Je commence à évaluer les forces en présence (équipes, hiérarchie, syndicats, fonctions supports) et je caractérise un adversaire, je regarde ma mission et comment tout cela s'articule. 

Une stratégie sans adversaire, c'est de la planification

Dit autrement, la planification s'arrête dès que quelqu'un ne veut pas faire ce qu'on attend de lui. En pratique, c'est plutôt fréquent.

Comment reconnaître un adversaire ? C'est assez simple. Vous regarder les buts de votre mission et vos adversaires sont ceux qui voudrons vous empêcher de les atteindre.

Cette idée est toutefois massivement rejetée par les dirigeants ou les managers que je rencontre.  

L'argument est que adversaire = ennemi et qu'un ennemi ça se détruit. Or ils ne souhaitent détruire personne. Je suis d'accord avec eux et c'est la raison pour laquelle il faut des outils.

Penser l'autre

Reste la nécessité de penser l'autre.

Je cite ici l'excellent article De la nécessité de l’ennemi par Hervé Pierre qui décrit bien mieux que je ne pourrais le faire la nécessité de penser l'autre :

C’est en acceptant pragmatiquement l’hypothèse de l’existence d’une forme adverse, en la modélisant dans toute sa complexité, et donc paradoxalement dans toute son humanité, qu’est éloigné le risque de l’essentialisation, lequel débouche le plus souvent sur la diabolisation et la lutte à outrance. (source)

Une conclusion surprenante

Après une heure de réflexion passée à triturer la situation en tout sens, je réalise que les personnes les plus opposées au changement envisagé sont les cadres opérationnels (plus encore que le personnel) et que les plus conscients de la nécessité de faire bouger et de formaliser les choses sont les syndicats.

Je trouvais notamment chez eux une plus grande hauteur de vue et un meilleur niveau de réflexion. De plus, ils avaient la confiance du personnel, ce qui n'était pas le cas du management de proximité.

Mon objectif, mon effet majeur, était donc clair : développer leur confiance en moi pour crédibiliser ma posture de négociation. Seul un partenaire fort peut faire accepter un compromis.

Vous comprenez que je n'ai pas partagé le fruit de mes réflexions en interne. Les jours suivants ont permis de valider mon hypothèse et de commencer à déployer des actions dans ce sens.

Rapidement, j'obtenais du directeur un assouplissement des relations avec les syndicats dans le but de préparer un terrain favorable à la négociation. Ce fut presque facile. Peut-être était-il arrivé aux mêmes conclusions que moi ?

Une fin brutale

Les semaines suivantes, cette politique a commencé à porter des fruits, notamment une amélioration faible mais sensible de l'ambiance dans les équipes. Il restait encore beaucoup à faire.

Cette négociation n'a jamais eu lieu. La politique de la maison mère a brutalement changé et il n'était plus question de tout ceci. La mission disparue, mon poste a été emporté par le mouvement.

Dans les jours qui suivirent, j'ai dépensé beaucoup d'énergie mentale à régler des problèmes dont pourtant je n'étais plus chargé. 

Le temps a passé mais parfois j'y repense.

*******

Je garde de cette histoire que le temps passé à se poser et réfléchir est un investissement rentable. 

Écrivons, dessinons. 

A de nombreuses autres reprises, grâce à cette méthode, il a été possible de mettre en place des alliances improbables ou des actions surprenantes, et beaucoup ont fonctionné.

Je garde de cette histoire que penser l'autre est un exercice âpre, difficile et parfois méprisé mais qu'il est d'une grande valeur et nous fait parfois découvrir des personnes extraordinaires. C'est aussi l'occasion de sortir des sentiers battus.

Je garde de cette histoire le goût sucré des pâtisseries que m'a apporté timidement cette dame, un soir, pour me remercier d'avoir fait décaler l'horaire d'une pause, lui permettant de manger.

Je garde de cette histoire le goût amer d'avoir laissé derrière moi des femmes et des hommes de valeurs et de courage.


C’est paradoxalement en acceptant de penser son adversaire qu’on s’offre l’espoir toujours renouvelé (et probablement toujours déçu…) de ne plus en avoir.

 Hervé Pierre


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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Image par Florian Pircher de Pixabay

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