Coopérer est un Acte de Résistance
Les organisations sont au cœur d'un paradoxe.
Bien qu'elles soient fondées sur le principe de coopération, visant à unir et orienter les efforts de tous vers des buts communs, elles doivent souvent la promouvoir activement. Pourtant, la coopération semble s'être évanouie, devenant souvent une simple complainte ou un vœu pieux. Pourquoi en est-il ainsi ?
Alès (30) - 2024
Selon mon expérience, j'ai formulé l'hypothèse que la coopération n'est pas véritablement recherchée par les organisations en pratique.
Cela explique l'inefficacité des discours visant à encourager la coopération sans aborder les raisons pour lesquelles les individus hésitent à le faire.
Cela explique également pourquoi les citations "inspirantes" sur ce sujet sont souvent si lénifiantes, incolores, inodores et sans saveur. (vous en trouverez de nombreuses ici).
Mais au fait, qu'est-ce que "coopérer" ?
Selon le Robert, coopérer signifie agir ou travailler conjointement avec quelqu'un.
Dans une approche organisationnelle, cela implique de consacrer une partie de ses ressources (temps, information, argent, personnel, etc.) au profit d'une action commune ou pour aider autrui (une personne, un service).
Coopérer, c'est donc prendre le risque de s'ouvrir, de consacrer de l'énergie à autrui en sacrifiant une part de sa performance strictement personnelle.
Or, dans une organisation où les moyens sont mesurés au plus juste pour atteindre ses objectifs, comment peut-on rationnellement attendre qu'une partie de ces moyens soit réorientée pour participer à l'atteinte d'autres objectifs ou les objectifs d'autres ?
La coopération pourchassée, éradiquée
Et si les organisations n'en voulaient pas ?
Une hypothèse simple pour expliquer les difficultés de la coopération au sein des organisations serait, qu'en fait, elles n'en veulent pas.
Bien sûr, on imagine mal une réunion de la Direction décidant d'abolir la coopération sous couvert d'une communication habile.
Je pense plutôt à l'écart entre les valeurs affichées et celles qui soutiennent réellement les décisions quotidiennes, modelant peu à peu un environnement non coopératif.
Dans ce sens, les appels à la coopération, là où elle fait manifestement défaut, sont aussi sincères que vains.
Alors, quels sont ces éléments qui rendent le choix de la coopération incohérent voire irrationnel ?
- Culture organisationnelle :
- Structures hiérarchiques rigides :
Dans les organisations avec des structures très hiérarchisées, la coopération peut être entravée par des barrières entre les différents niveaux de l'organisation. Les employés peuvent se sentir moins enclins à coopérer s'ils perçoivent que leurs contributions ne sont pas valorisées ou reconnues comme des infractions à la voie hiérarchique (injonction à apprendre à dire "non").
- Peur du partage de l'information :
Dans certains cas, les employés ou les départements peuvent hésiter à partager des ressources par crainte de perdre un avantage ou un pouvoir au sein de l'organisation.
Ceci est paradoxalement la situation inverse de la précédente. L'absence de structuration rigide produit un stress sur l'existence ou le maintien d'une telle structure de façon informelle de sorte qu'il est difficile d'anticiper l'impact exact de coopérer et donc la position de repli semble bien plus sûre.
- Ressources limitées :
La coopération peut nécessiter du temps et des ressources supplémentaires pour la coordination et la communication. Les organisations avec des ressources limitées peuvent ne pas se sentir en mesure d'investir dans ces efforts. C'est notamment le cas dans les situations de sous-effectif dans lesquelles coopérer peut être vu comme un coût insupportable au moment de garantir sa propre capacité à faire et à durer.
- Manque de compétences :
La coopération efficace nécessite aussi certaines compétences, comme la communication, la résolution de conflits et l'écoute active. Si ces compétences font défaut, les efforts de coopération peuvent échouer, décourageant ainsi de futures tentatives.
- Conflits d'intérêts :
Parfois, les intérêts des différents départements ou individus au sein d'une organisation peuvent entrer en conflit, rendant la coopération difficile ou contre-productive, voire impossible. A discerner de l'émulation qui permet l'exact inverse dans une situation qui peut sembler similaire.
En résumé, la coopération disparaît toutes les fois où ne pas coopérer est une position valide au sein de l'organisation, où la coopération est vécue comme un exception qui ne serait envisagée que par "beau temps" sur des sujets secondaires.
Coopérer : un acte de résistance
Et pourtant, malgré tout cela, certaines personnes continuent à coopérer. Elles se reconnaissent vite et forment un réseau qui, bien que caché, constitue la véritable garantie de l'efficacité de l'organisation face à l'inattendu, l'incongru. Pour la Direction, la disparition de ce réseau ne sera visible que lorsque la magie n'opèrera plus. Des choses qui paraissaient simples, évidentes, ne le sont plus.
Ces personnes agissent comme l'huile d'un moteur. Elles ne contribue en rien à sa puissance mais à sa capacité à fonctionner longtemps, dans toutes les conditions. Sa disparition n'aura pas d'effet immédiat, mais...
Un système de valeurs
Si je me réfère à la pyramide de DILTS, les personnes qui, malgré un environnement hostile, coopèrent obéissent à un appel auquel il est difficile de résister : leur système de valeurs.
Elles peuvent avoir le sens du service, l'esprit d'équipe ou une certaine idée de l'efficacité. Dans tout les cas, la personne coopère avec le sentiment de "bien faire" voire de "faire le bien".
C'est la raison pour laquelle elles finissent toujours par désobéir aux ordres directs contraires dès que l'occasion se présente. Elles agissent alors en "sous-marin".
Parfois, cette coopération cachée, invisible du management, est la part de magie qui permet à un système de fonctionner correctement malgré un management défaillant. On le découvre à ses dépens quand ces gens partent.
Exemple paradoxal :
Il y a longtemps de cela, je travaillais comme consultant en droit social dans un cabinet de conseil et notamment pour un associé qui avait une manière très personnelle de donner du travail : il posait toujours des questions très générale sans jamais donner le moindre élément de contexte. Cela pouvait ressembler à des questions de cours comme : la rémunération du gérant de SARL.
Au début, je me suis fait avoir. J'ai passé des heures à traiter le sujet donné. Et j'ai bien compris que cela ne correspondait pas aux attentes (non exprimées).
Et puis un jour, alors que d'autres personnes se plaignaient de recevoir aussi ce genre de question, j'ai décidé de procéder autrement.
Après une nouvelle question, j'ai fait le tour des autres managers de ses dossiers. Je leur disais avoir eu une question générale et leur demandé si; par hasard, ils n'auraient un dossier dans lequel il y aurait une actualité ou un projet lié.
Et à chaque fois, je suis reparti avec le cas et la question précise sur laquelle travailler, bien plus restreinte : projet de changement des statuts d'une entreprise avec la question précise sur tel aspect de la rémunération de M. Untel.
Au final, j'y passais beaucoup moins de temps et faisait une restitution de mes recherches comme suit :
- "Vous m'avez interrogé sur le thème de la rémunération du gérant de SARL, mais j'ai pris l'initiative de me concentrer sur tel aspect qui focalise généralement les difficultés."
Nous n'en n'avons jamais discuté et cela est devenu une sorte de jeu. Je me souviendrez longtemps de son petit sourire en coin la première fois où je lui ai fait ce coup-là.
Je pensais à l'époque que son but était de nous forcer à coopérer en échangeant nos informations pour comprendre ses demandes.
Comment (re)développer un état d'esprit coopératif
On découvre vite que collaborer n'est pas coopérer et parfois on peut vouloir réellement développer la coopération dans son entité.
A l'image du chef
Rien ne vaut l'exemple et les attentes effectives de la Direction pour opérer un évolution des actions de chacun.
Par exemple, dans le cadre de mes activités militaires, et alors que la coopération y est largement promue, un de mes subordonnés évoque devant quelques autres et avec un grand sourire les déboires d'un de ses camarades.
Témoin de la scène, et afin d'éviter que cet état d'esprit ne se répande, je me suis approché et ai posé une question simple :
Et qu'as-tu fait pour l'aider ?
Cette simple question est de nature à réorienter l'action des personnes même si la culture de l'organisation n'est pas celle-ci. Ce sera long, il faudra des efforts et la route ne sera pas droite et la pente douce, mais, avec persévérance, les choses évolueront.
Un sentiment de sécurité doit préexister. Même maladroit, cette action de coopération doit donc être valorisée par la hiérarchie, l'environnement et les esprits plus fermés, privilégiant l'avantage comparatif immédiat, doivent parallèlement être découragés.
* * *
Au final, la coopération consiste à faire vivre l'idée que si les rôles sont répartis, l'organisation à pour fonction de remplir une seule et même mission.
En pratique pourtant, coopérer implique le plus souvent d'enfreindre des directives, des habitudes, des règles explicites ou non. En cela, la coopération est une acte de résistance pour le collaborateur.
Ainsi, le partage des responsabilités est une clé pertinente de répartition des moyens, pas des problèmes.
La coopération est une clé de la cohérence et de la cohésion d'une équipe.
Thierry Cammarata
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