L'épicerie du COIN : 3 leçons stratégiques pour l'entreprise

Pour cette rentrée, ce blog amorce un virage vers plus d'actualités et comment passer à côté de l'événement stratégique de l'été : la chute de Kaboul et le départ des Américains d'Afghanistan ?

Je vais traiter trois leçons qui éclairent la faillite stratégique des forces de l'OTAN dans cette guerre dont les entreprises devraient s'inspirer.

- La nationalisation des conflits ne fonctionne pas (culture, corruption),
- La théorie des jeux (jeux finis vs jeux infinis) est incontournable,
- Le comptage n'est pas l'action (du KPI au KP-aïe...).

Nationalisation des conflits : manager pour ne plus avoir à manager

Dans les relations internationales, ce que l'on appelle la nationalisation d'un conflit est la politique d'un état étranger venu prêter main forte à un état défaillant sur son sol pour contrer une insurrection (COIN : COunter INsurgency) visant à préparer sa sortie en créant les conditions du maintien du gouvernement en place.

En entreprise, la situation que j'ai connu était la mise en place d'une politique dans un entrepôt géré en direct visant à aligner ses performances avec celles d'autres entrepôts similaires mais gérés en sous-traitance.

En Afghanistan, la culture du pays et sa corruption endémique ont "bu" les efforts humains, matériels et financiers des Américains et leurs alliés.

Dans l'entreprise, une grande enseigne de distribution, la culture du site et la présence d'une hiérarchie de proximité s'étant progressivement retournée contre la direction (acquise aux intérêts des salariés car, notamment, issue leurs rangs). La situation était telle que les syndicats étaient plus ouverts aux évolutions… 

Las, les Américains et leurs alliés sont partis; l'entrepôt a été confié au prestataire.

Les différences culturelles font que les objectifs ou les moyens déployés n'ont pas de sens pour l'une ou l'autre des parties. Au delà d'un certain point, ces différences sont irréductibles. 

Les jeux sont finis, rien ne va plus !

J'en ai déjà parlé ici, souvenez-vous. Ici le terme de "jeu" désigne les types de relations humaines. Pas ou peu de ludique dans ce cadre.

Dans un jeu fini, comme les échecs, les joueurs sont tous connus, les règles sont fixes pendant le jeu et l’objectif est accepté par tous les joueurs. Il y a un vainqueur et un perdant.

Dans un jeu infini, c'est très différent. Il y a des joueurs connus mais aussi des joueurs inconnus, certains peuvent apparaître ou disparaître. Les règles sont évolutives, elles peuvent changer et le but est de perpétuer le jeu. Il n’y a pas de vainqueur ou de perdant, mais la possibilité de sortir du jeu par la perte de la volonté ou des moyens de continuer.

Lors de l'invasion de l'Afghanistan, les Soviétiques, à l'époque, ont attaqué pour soutenir un régime "ami". Dans un contexte que guerre froide, les Américains avaient une politique très simple : virer les Soviétiques ou faire en sorte que le prix pour y rester soit le plus élevé possible.

Et 40 ans plus tard, les Américains ont été confrontés au même problème. Ils voulaient gagner la "lutte contre le terrorisme" alors que les taliban voulaient juste que le jeu continue le plus longtemps possible. Et les Américains sont partis d'Afghanistan, du Vietnam comme nous finirons par partir du Sahel, d'une manière ou d'une autre.

Le business est par essence un jeu infini. Il n'y a pas de perdant ou de gagnant, que des entreprises qui perdent les moyens ou la volonté de continuer à jouer. Le but n'est pas de battre la concurrence mais de lui survivre, quitte à se transformer radicalement.

Gérer n'est pas agir

Le dernier point que je souhaite aborder aujourd'hui est l'illusion des indicateurs de suivi et autres KPI (Key Performance Indicators).

Il est malheureusement fréquent de faire un lien automatique entre une donnée quantitative et un effet qualitatif positif, le taux d'absentéisme avec le bonheur au travail par exemple.

La guerre d'Afghanistan, pendant 20 ans, a été la source de milliers de données plus rassurantes les une que les autres : plus de troupes, moins d'attentats, plus d'argent, plus de tués en face, moins de tués chez nous, plus de moyens dans la formation d'une armée locale plus forte et mieux équipée… Et bien on a vu.

L'entreprise connaît bien ce travers avec, par exemple, les politiques de lutte contre la discrimination ou le harcèlement. On finit souvent avec une charte de bonne conduite, un référent interne et une formation annuelle obligatoire. Ainsi, chaque salarié reçoit 7 heures de formation et le nombre d'incidents signalés diminue :

Mission accomplished.

Et sur ce dernier indicateur, le nombre d'incidents signalés qui diminue, quelle en est la cause ? La situation s'améliore-t-elle ou, face à l'inefficacité du système, les incidents ne sont-ils plus signalés ?

A l'heure du monitoring, souvenons nous que les écrans font écran. Ainsi, penser que des moyens permettent de faire fonctionner ce qui ne marche pas, permettent de gagner là où cela n'a pas de sens et peuvent même servir d'objectifs se révèle inopérant. A la réflexion, je doute qu'un épicier aurait fait ces erreurs. En revanche, il est aisé d'y tomber petit-à-petit, par glissement, et la question à se poser est alors la suivante : dans l'organisation, quel est l'avenir promis à celui ou celle qui aura mis en avant ces éléments ?

Plus généralement, c'est la question de l'action face à la permanence qui est posée. L'action ne fait que consommer des ressources alors que la permanence est pleine d'un potentiel qui permet de gagner sans agir, comme l'eau profite de chaque trou pour passer.


L'Afghanistan n'est que temps et poussière,
les Afghans gardent le temps,
et les étrangers prennent la poussière.

Proverbe afghan

Thierry Cammarata

arbitrium14
Tel : +33(0)768871589

Mail : thierry@arbitrium14.fr

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