Dynamiques de la spirale, Effondrement et Grande démission

L'Éducation nationale n'arrive plus à recruter. L'Hôpital n'arrive plus à recruter. La Territoriale n'arrive plus à recruter... Le secteur privé a du mal à recruter aussi. Il manque des médecins, des infirmières, des serveurs, des chauffeurs de bus, des ingénieurs, des maçons, des profs... mais aussi la désaffection pour les partis politiques ou avant eux les syndicats traditionnels.

La raison souvent exposée est contradictoire : la protection sociale des personnes qui ne travaillent pas. Dans une schéma simpliste, insécuriser les parcours serait donc la solution : réforme (réduction) de l'assurance chômage pour les emplois courts. Résultats ? Ces gens sont partis travailler ailleurs. Mais les secteurs où le travail est sécurisé (services publics - CDI en grande entreprise) peinent aussi à recruter. Le problème est donc ailleurs.

Partout les forces vives manquent. Où sont-elles ? Ailleurs, agissant d'autres façons. Une bascule est en train de s'opérer. La grande erreur est d'imaginer ce phénomène comme marginal ou temporaire. Il est central et durable. Listons aussi les burnouts, les reconversions, etc. En regardant attentivement, tous ces mouvements vont dans le même sens.

C'est une question de système de valeurs. Pire, de niveau de conscience. Et ce ne seront pas quelques euros en plus ou des heures de travail en moins qui changeront ce qui se passe depuis des années mais qui devient spectaculaire : la sécession d'une part de la société (et pas celle que l'on imagine souvent et dont on parle beaucoup).


Les sociétés évoluent sans cesse dans une sorte de danse entre l'évolution de leur environnement (au sens large) d'une part et celle de leur mode de pensée, leur système de valeurs d'autre part. L'originalité de notre époque est de faire cohabiter plusieurs systèmes de valeurs dont 3 principaux : 2 bien en place et un 3e émergeant.

Ainsi, selon le modèle, les modes de pensée ont tour à tour été automatique, animiste, égocentrique, absolutiste, pragmatique puis relativiste voire systémique si on en croit la Spirale dynamique. Ces niveaux de conscience ne se remplacent pas, ils s'accumulent.

Ainsi, chaque niveau d’existence correspond à une nouvelle "façon de penser" en réponse à de nouvelles "conditions de vie" et un environnement plus complexe.

L'école, au sens le plus large, nous servira de fil rouge mais ce qui va être écrit ici peut être étendu à beaucoup d'autres situations que nous aborderons au passage.

Les Dynamiques de la spirale (ou Spirale dynamique)

(Je précise que ceci n'est pas un cours. Les éléments d'information sont donnés pour la bonne compréhension du billet seulement et que les couleurs sont un élément facilitant la mémorisation et n'ont pas de valeur symbolique particulière)

Cet outil d'analyse systémique qu'est la spirale dynamique a été conçu par le professeur en psychologie Clare Graves, puis poursuivi par Beck et Cowan. Il repose sur l'idée que l'humanité avance en développant des modes de pensée nouveaux pour faire face à l'évolution de son environnement mais aussi que ces adaptations participent de cette évolution, comme dans une boucle, une spirale en fait. Cette évolution sociétale passe par le même chemin qu'une personne prise individuellement dans sa propre vie. Ils sont :

Le Beige (ou Niveau Existentiel)

Le Violet (ou Niveau Animiste)

Le Rouge (ou Niveau Égocentrique)

Le Bleu (ou Niveau Absolutiste)

Le Orange (ou Niveau Opportuniste)

Le Vert (ou Niveau Relativiste)

Le Jaune (ou Niveau Systémique)

Le Turquoise (ou Niveau Holistique)

Je vous invite à le découvrir, si cela vous intéresse, et à explorer toutes ses facettes.

Les modes de pensée égocentrique, absolutiste, opportuniste et relativiste (respectivement rouge, bleu, orange et vert) vont retenir notre attention.

Chacun des niveaux correspond à un jeu de valeurs qui ne sont pas meilleurs ou plus mauvais que les autres mais mieux adaptés au contexte de leur émergence. Ils s'étendent sur des centaines ou des milliers d'années mais le rythme accélère. Le passage à un niveau suivant implique d'avoir fait le tour du précédent (on ne peut donc "sauter" un niveau comme on sauterait une classe par exemple) et cela se passe le plus souvent par une crise profonde.

En revanche, les niveaux précédents ayant été intégrés, il est possible que des personnes "régressent" sous certaines conditions de stress. 

Les niveaux alternent entre ceux relatifs à l'expression de soi (Beige-rouge-orange-Jaune) plus individualistes et le sacrifice de soi (violet-bleu-vert-Turquoise) plus collectifs.

Avant d'entrer dans le dur, prenons un exemple simple et un peu caricatural : l'argent et la nature dans les systèmes bleu, orange et vert.

Dans le système bleu, absolutiste, l'argent existe mais il est tabou, on en parle pas et sa répartition inégalitaire est justifiée par celle de la société. Ce n'est pas un sujet de conversation. L'impôt permet la vie de la société. Le pouvoir économique obéit aux impératifs politiques. La nature est le pur fruit de la création fait pour nous. Propriété de certains, l'usage reste réglé socialement.

Dans le système orange, opportuniste, par opposition, l'argent s'affiche car c'est lui qui donne sa valeur aux choses et aux gens (on est riche = on a réussi = on est un exemple). L'impôt n'a de sens que s'il est optimisé ou trouve un service en retour. La réussite se mesure à la richesse monétaire. Le pouvoir politique ne domine plus l'économie. La nature est exploitable et maîtrisable.

Dans le système vert, en réaction, l'argent existe ou non, il perd sa valeur capitalistique et redevient uniquement un moyen d'action, d'échange dans une approche à plus petite échelle, la communauté. L'impôt contribue à réduire les inégalités. Le modèle de développement économique productiviste est rejeté. La nature est un concept questionnable, on lui préfèrera humain, non-humain.

Ces systèmes de valeurs rejaillissent sur la vision de l'école.

La genèse

En France particulièrement, nos institutions issues de la Révolution française n'ont jamais tiré les conséquences de la révolution industrielle. 

Bien que promotrices de liberté(s) individuelle(s), ces institutions ont maintenu une grande continuité de valeurs avec l'Ancien Régime de sorte que, aujourd'hui encore, l'expression de "monarchie républicaine" par exemple est souvent utilisée pour les décrire, et non sans raison. Ces valeurs sont essentiellement absolutistes -l'Etat a ses serviteurs et sa raison-, inégalitaires, fondées sur l'ordre social et le sacrifice (la patrie reconnaissante).

La séparation des Églises et de l'État va faire que la République va devenir porteuse de sa propre transcendance : SES valeurs (pour certains, "la France" dans son éternité, son destin, est cette entité transcendantale qui dépasse la République). Valeurs que l'école est chargée, sous une pression considérable, de transmettre via des cours de morale civique notamment. L'instituteur a d'abord été un "hussard noir" de l'école créée, comme chacun sait, par Charlemagne, digne successeur des Gaulois (oui, les mythes fondateurs sont importants ici). Cette approche est encore largement représentée dans les discours et la pratique. Le programme d'histoire est un enjeu politique (mais pas la géo) selon qu'il soutien ou trahit le roman national.

Il s'agit de valeurs rattachables au "monde" bleu. Les Français qui sont essentiellement à ce niveau de conscience se sentent autant menacés par le consumérisme opportuniste et individualiste (orange) que par l'islamisme politique (bleu, aussi). Sur ce dernier point, la confusion des valeurs affichées est telle que certains peuvent, le même jour, défendre la blouse à l'école (creuset républicain) et le topless sur les plages (émancipation).

Mises en tension ou en danger, ces personnes peuvent parfois "régresser" au niveau de conscience précédent. Le niveau de conscience bleu régresse alors vers le rouge, égocentrique, comme au travers de groupuscules actifs, la recherche de l'héroïsme voire de l'action égocentrique, violente et suicidaire (terrorisme). 

Dans le système de valeurs bleu, la mission de l'école est de fabriquer des citoyens et dégager une élite au service de la transcendance du moment, l'Etat et la direction des grandes entreprises (capitalisme à la française). Le mode d'apprentissage privilégié est la (peur de) punition.

La révolution industrielle

Pendant cette période, la société devient industrielle, capitaliste. Les valeurs associées se répandent. L'individualisme devient possible, les droits de l'Homme sont créés, cela n'avait aucun sens avant. La récompense des efforts devient plus immédiate, on peut progresser dans sa vie sans attendre les générations suivantes. Les loisirs se démocratisent et ce que la société offre est perçu comme un dû. La vie meilleure, le confort technologique sont pour maintenant, voire pour toujours (transhumanisme, maîtrise de la nature). La société est toujours inégalitaire sur la base de la réussite et non plus de la transcendance. La réussite se mesure à la richesse matérielle.

Le rapport à l'école ou au diplôme est plus utilitariste : fournir un bon travail et un bon salaire et jouir des marqueurs de la réussite (une Rolex à 50 ans). La lutte est intense, et s'il faut tricher, payer... Avoir les moyens de faire quelque chose justifie moralement de la faire (je peux me payer un safari et tuer un éléphant ou passer quelques heures dans l'espace, je le fais). Quelles sont les meilleures universités, écoles ? Les classements pullulent. Aujourd'hui est plus important qu'hier, mais aussi que demain (dette). Il s'agit ici du "monde" orange.

Son apogée intervient certainement au sortir de la seconde guerre mondiale comme les premiers mouvements de contestation.

La mission de l'école a changé : former des travailleurs pour la réussite (entendre : capacité à consommer) ! Le mode d'apprentissage privilégié est tourné vers l'expérimentation. 

Plus récemment, durant la pandémie de Covid, un nouveau rôle de l'école s'est révélé : la garderie. Il fallait bien que les parents travaillent (orange), sous couvert que le lien à l'école de la République soit préservé (bleu). Pensons surtout au travailleurs de "1ère ligne" (renvoi au sacrifice => bleu) mais mal payés (renvoi à salaire = coût => orange), et aux aspirations à des rétributions plus axées sur l'utilité sociale (introduisons l'harmonie => vert).

Il est a noter que nos dirigeants incarnent totalement les valeurs orange dans leurs pratiques (argent, dette, réussite individuelle, copinage, tableaux Excel) mais gardent un discours bleu (valeurs républicaines, sacrifice… des autres, transcendance).

Nos personnages politiques sont régulièrement poursuivis pour avoir détournés des fonds toujours publics de leur objet : salarier sa femme (signe qu'on l'aime très fort ?), employer le cabinet de conseil des copains. Ceci est typique de l'opportunisme caricatural du monde orange. Mais ils n'oublient jamais, une fois pris, de rappeler la lourdeur de leurs tâches aux profits des Français et que la hauteur de vue nécessaire à ces fonctions leur interdit de s'intéresser aux détails des modalités de leurs actions. Ils ajoutent que si on les chatouille trop, plus personne ne voudra plus se sacrifier pour faire vivre la démocratie, bref, du bleu.

Cette pratique permanente d'une action orange habillée d'un discours bleu crée un décalage perceptible et nourrit la désaffection des électeurs et la montée de l'abstention. En fait, il s'agit à la fois d'une manœuvre qui se veut habile mais aussi, en cas de difficulté, d'une régression, schéma classique en situation de stress ou d'incertitude, l'économie libérale en crise s'appuie sur un Etat plus rigoriste. 

Cette ambivalence se retrouve partout car, bien que compétitive, la société reste profondément inégalitaire et le plus sûr moyen de "réussir" est d'appartenir à une famille qui elle-même a déjà "réussi".

Or, en matière de sécurité pour l'ensemble de la population, sur le plan social, l'ordre (bleu) ou la compétition (orange) ne font pas la même promesse.

Le système de valeurs bleu (contrôle de soi, ordre, rigueur, règles, dogmes binaires, absence de plaisir, sacrifice) garantit une place inégale et intangible certes mais pour tous alors que le système de valeurs orange (matérialisme, opportunisme, compétences, mesurabilité, utilité, pouvoir) promet les meilleures places aux vainqueurs du moment (l'ascenseur social).

Mais la France (ses institutions) garantit les places des vainqueurs du passé et insécurise les autres (mise sous conditions de prestations, contrats courts), notamment les plus faibles. Et c'est l'école qui, par je ne sais quel prodige, reçoit la tâche considérable de résoudre cette contradiction fondamentale. 

Impossible.

La haine

Un peu comme des cyclistes échappés trop occupés à s'observer au moment du sprint et qui ne voient pas le peloton revenir et les coiffer sur la ligne, ces deux visions de l'école coexistent mais se détestent : école des principes contre celles des compétences, école publique contre privée, universités contre écoles de commerce, grandes écoles voire formation continue, recherche publique contre privée. Elles ne voient pas arriver la nouvelle ou, quand elles la voient, s'accordent pour lui tomber dessus (wokisme ?).

Les tenants de chacune de ces deux écoles s'écharpent d'autant plus fort que l'école est aujourd'hui incapable de fournir des citoyens éclairés ou des travailleurs efficaces. Elles s'accordent donc à considérer que les quelques tentatives rattachables à cette nouvelle forme d'école est la cause de toutes les difficultés. En fait, elle en est le symptôme. Ce n'est pas par son existence que l'école traditionnelle s'effondre, c'est parce que l'école traditionnelle s'effondre que les nouvelles formes apparaissent.

L'ascenseur social se résume à un ascenseur scolaire et ses 80 % (85 ? 90 ?) d'une classe d'âge au Bac un objectif soviétisant. Maintenant que des bac+5 n'écrivent plus un français correct et qu'une bonne part de la population a subit un choc traumatique avec les maths, que faire ? Rien.

Or, le parcours scolaire en France est plutôt fatal. Si vous avez une bonne évaluation en français et en math en 6e, vous aurez le bac et l'avis d'imposition de vos parents suffira à faire votre orientation (sauf évidemment s'ils sont eux-mêmes profs). 

L'effondrement manifeste de l'école française est irréversible (Voir les 8 critères ici). Pourquoi ? L'environnement a continué à changer et le système de valeurs pour y faire face est désormais trop loin pour être accessible dans un temps raisonnable. Et puis le ministère n'a ni le diagnostic, ni la capacité de le comprendre, ni le ressort, ni la volonté pour y parvenir, alors… cela se fera ailleurs.

La fin de l'énergie abondante

Pendant que l'on se bat sur les types d'école précédents, une nouvelle émerge donc : celle de l'éveil (Montessori, pédagogie Freinet, méthode mutuelle plutôt que simultanée). Evidemment, ce sont des balbutiements au regard de la masse.

Cette école répond à un nouvel environnement qui fait monter des valeurs liées à l'harmonie pour soi et pour les autres, le travail collaboratif et les méthodes d'apprentissage nouvelles : en groupe, observation des réactions d'autrui ou la classe inversée par exemple.

Ces valeurs émergentes étant égalitaires, subjectives, relativistes et coopératives, elles s'opposent aux valeurs inégalitaires, à la fois sur la dimension absolue et compétitive promues par l'Education nationale (bien qu'elle s'en défende).

Cette nouvelle approche nourrit les peurs. Comment un prof pourrait-il tenir une classe sans l'autorité transcendantale de sa fonction (peur du chaos) ? Comment rester une école prestigieuse si "n'importe qui" peut y entrer (peur de perdre le statut social) ?

Les questions énergétiques et écologiques ayant pris le pas sur bien d'autres, beaucoup de jeunes gens se retrouvent dans ce type de valeurs que ni l'Etat, et son école, ses hôpitaux -que sais-je encore ?-, ni les entreprises pour la plupart, ne sont en mesure de comprendre et encore moins de prendre en compte réellement, au-delà des discours  opportunistes -le orange se pare alors de vert- ou de la plantation de quelques arbres. Ce n'est pas un problème de volonté mais de valeurs et donc de conscience.

La vision même du monde est différente : le monde bleu est immuable, le monde orange est un champ d'options infini alors que le monde vert est harmonieux.

Ce niveau de conscience vert se construit évidemment sur la critique des précédents, et particulièrement du orange. Collectif, décentralisé par essence, fondé sur le sens et rejetant les logiques de pouvoir, ce système de valeur ouvre un nouveau mode de relation avec l'Etat d'autant plus problématique que la place de ce dernier n'est plus garantie. Ce niveau de conscience ne sera pas meilleur ni plus mauvais que les précédents. Il ne sera pas sans contradictions mais il s'installe et, de plus en plus, c'est au travers du prisme de ces valeurs que les actions sont jugées.

La rupture n'est donc pas liée à un problème de salaire ou de pédagogie mais de valeurs. Pas de chance, les valeurs sont très importantes aussi dans cette nouvelle approche alors que les tenants des deux autres systèmes s'accordent à ne pas les voir, à les dénigrer ou à crier leur absence.

L'école française, l'Education nationale et, à travers elles la France, n'ont jamais tiré les conséquences de l'avènement de la société capitaliste, faisant même de cela un argument identitaire et permanent. Or, plusieurs systèmes de valeurs coexistent. Aujourd'hui le rattrapage sera trop long, la destination trop lointaine.

L'école, l'Etat, mais aussi le capitalisme français repose largement sur des valeurs de type "bleu-orange" dans une hybridation baroque (valeur travail, les devoirs avant les droits !?) qui se pense définitif alors que la population, à la fois, accomplit la pensée orange (hyper-individualiste et utilitariste) et devient plus "verte" (sensible aux questions de subjectivité et de justice). Cela explique notamment le malaise de la France face à la mondialisation et l'illusion qu'elle se fabrique face à son recul. Le recul de la mondialisation correspond plus sûrement à un dépassement des valeurs qui l'avait permise qu'un retour aux valeurs précédentes. Ceci explique que le succès des partis conservateurs durs ne soit que relatif et non durable.

L'école à deux étapes de retard, une première, honnie, à intégrer, dépasser puis une autre encore. Il faut des générations pour le faire. Et elle ne pourra faire le bond : elle ne comprend déjà pas ce qui lui arrive.

Conséquences ? L'école ne comprend plus ses élèves, leurs parents, ses profs tout comme l'hôpital ne comprend plus ses patients, leurs proches, ses soignants. Les premiers subissent ou paient pour aller ailleurs, les seconds crient et les troisièmes partent ou ne se présentent plus au recrutement. L'école unique face à trois système de valeurs si différents ne peut fonctionner durablement.

Les modes de management sont aussi touchés. Ceux prônant le sacrifice pour une récompense future octroyée, peut-être, un jour, ou ceux prônant l'expression de soi pour des primes individuelles, des bons de réduction sont en difficulté. Les jeunes diplômés vont de moins en moins dans les grandes entreprises installées.

Les jeunes gens les ont totalement intégrés avec un opportunisme ou un utilitarisme assumé ne donnant aucune prise à des notions comme l'engagement ou, au contraire, les rejettent avec vigueur pointant leurs contradictions. Les managers, eux, les disent "immanagables". Et même avec les personnes de 30 ou 40 ans c'est difficile. On ne compte plus les exemples de personnes qui partent, quittant région parisienne et jobs tertiaires pour l'artisanat, l'agriculture.

En 2019, 60 % des entreprises indiquaient avoir des difficultés de recrutement (25 % en 2015). "Les démissions actuelles sont aussi le fait de la génération des travailleurs diplômés, qui tend à quitter des jobs qui manqueraient de sens ou n’auraient pas d’impact positif sur la société" (source).

Les bonnes vieilles recettes ne marchent plus, pire elles sont un problème. Mais la croyance en ces recettes si longtemps efficaces est tenace ; nous assistons pourtant à leur derniers sursauts. Sans parler du management toxique…

Dans un système de valeurs "vert", le management est intégratif, participatif, collaboratif, décentré et fondé sur le consentement, la circulation de l'information et le sens. Le modèle du salariat n'y est peut être pas le plus pertinent. Des sociétés se donnent des limites de chiffres d'affaires maximum !

L'entreprise aurait donc tort de crier victoire. C'est son monde qui est rejeté et les refus de promotion ou les difficultés de recrutement augmentent. Le monde orange fait de compétition, d'individualisme, de satisfaction immédiate et de croissance infinie commence à passer son tour. Ce phénomène se passe aussi au Etats-Unis, on l'appelle la grande démission, et là-bas ce n'est pas pour aides sociales…

La crise des "gilets jaunes" aura été un des premiers signes tangibles de la disparition progressive de la trajectoire vers ce rêve. La richesse matérielle n'apporte ni paix ni bonheur pour moi et mes enfants. Une sensibilité à l'inégalité apparaît. Besoin d'harmonie avec autrui, de vie intérieure riche et de comprendre les subjectivités.

Plus largement, nous sommes au bout d'une approche besoin - solution.

*    *    *

J'avais pensé intitulé ce billet : Le monde est vert comme une orange bleue mais je craignais que cela soit trop obscur. C'est, je l'espère, plus clair maintenant. 

Deux systèmes de valeurs inégalitaires sont concurrencés par un émergeant qui se veut plus égalitaire et en quête de sens. Le bleu tend à régresser vers le rouge, nous arrivons au bout du rêve orange, il se pare alors de bleu, et le vert peine à se formaliser et émerger.

Nous sommes donc bien en crise, en crise de systèmes de valeurs.


Le vieux monde se meurt,
le nouveau monde tarde à apparaître
et dans ce clair-obscur surgissent les monstres.

 Antonio Gramsci


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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Commentaires

  1. Merci Thierry, pour ce billet éclairant.

    Une crise des valeurs, ou plutôt de leur absence, qui a structuré une société.
    Je te rejoins sur l'incapacité de l'école à répondre aux attentes des nouvelles générations (et des nôtres, pour ce qui est de faire venir ces générations dans le "monde du travail"). Une accélération de la spirale vers l'effondrement d'un système prédateur.

    Une langue de moins en moins maîtrisée; c'est pourtant là bien le basique de ce que l'école doit apporter. Comment avoir sabordé ces savoirs sans penser qu'il s'agit d'une volonté consciente, planifiée et mise en oeuvre malgré toutes les alertes, et le constat que nous en faisons aujourd'hui ? L'absence de valeur, voire de conscience peut permettre des desseins les plus sombres. Et quand ils deviennent inhumains, il ne reste plus personne pour voir la vérité en face. Ce fameux écart de nombre qui ne nous permet pas de conscientiser l'horreur, au bénéfice de ceux qui la crée.

    Une suite les niveaux systémique et holistique ?
    MAP

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    Réponses
    1. Merci Marc-Antoine pour ton commentaire. En effet, je voulais insister sur le retard pris, notamment par l'école mais elle n'est pas la seule, dans l'analyse et la prise en compte des évolutions de ce monde. Ce retard, au regard de la grille d'analyse, semble irrattrapable et la situation sera donc difficile. Le premier point à régler, de mon point de vue est : Quel est la mission de l'école ?

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