La place du chef (d'entreprise)

Environ 55 % de la communication passant par le corps (38 % par le ton de la voix et 7 % par les mots), une large partie de ce qu'un dirigeant ou manager fait passer comme messages à ses équipes passe par là où il se trouve.

Alors que j'étais son RRH, un directeur de filiale m'a dit lors de ma prise de poste : un RRH n'a rien à faire dans son bureau

Dans son idée, un RRH devait être au contact des équipes et tout savoir sur ce qui se passe. Il ajoutait qu'un RRH surpris, c'est une faute professionnelle.

Il y a quelques semaines, je lisais sur LinkedIn le témoignage d'un dirigeant qui faisait part de son désarroi suite au déménagement de son entreprise dans de nouveaux locaux. Ils sont manifestement fonctionnels et spacieux, pour lui un grand bureau avec une belle vue. Il en était très fier.

Rapidement pourtant, il a ressenti un malaise. Quelque chose n'allait pas, mais quoi ?

Il se trouvait isolé des équipes. Dans les locaux précédents, bien que devenus inadaptés, il se trouvait installé au cœur des équipes et cela correspondait très bien à son mode de management. Aujourd'hui, il se sent coupé, loin et il a perdu ce flux d'information qui lui permettait précédemment de gérer au mieux.

Regardons plus avant l'un des impensés du management, la place du chef. Où être le mieux placé pour diriger.

Les militaires traitent cette question naturellement depuis longtemps, le management trouvera le moyen de s'en inspirer et gagner en efficacité.

La place du chef

Toute personne ayant la tâche de commander une unité, si petite soit-elle, dans l'armée française s'est trouvée confrontée à l'apprentissage des cadres d'ordre.

Chaque cadre d'ordre porte le nom de l'acronyme formé à partir des initiales des mots qui le compose. Chacun de ces mots, dans l'ordre, permet à la fois de s'en souvenir, de préparer l'action en question de façon complète, de présenter cette même action aux autres et enfin d'avoir un langage commun.

Quand j'étais officier de réserve en gendarmerie, j'ai été confronté au TTA 150 (traité toutes armes n°150) qui dans l'Armée de terre traite de cette question et notamment son TITRE IV sur le combat. On y trouve certains de ces cadres d'ordre. La plupart ont un point commun, ils comportent notamment un P pour Place du chef dans le dispositif.

En entreprise, cette place est le plus souvent figée et rarement questionnée. Plus on aura un rôle élevé dans la hiérarchie, plus on aura accès à un étage élevé, éloigné de l'activité, dans un bureau seul, fermé et grand. Et d'ailleurs, partager un bureau ou pire retourner dans un open-space est vécu comme une rétrogradation.

Mon expérience militaire et en entreprise me donne à penser que la place du chef et, par là, la distance entre lui et l'activité et ceux qui la font doit bénéficier d'une souplesse, d'une fluidité propre à donner une conscience de situation adaptée, notamment à sa vitesse d'évolution.

Osciller entre action et réflexion

Il y a quelques années de cela, je travaillais dans un gros cabinet de conseil et mon anglais n'étant pas mauvais, je m'occupais de la communication avec les gros clients étrangers du service. 

J'avais un bureau partagé et l'équipe en charge de ces clients était dans un open-space à proximité. Ces clients étaient souvent peu patients, voire vifs à faire dégénérer les situations et les échanges avec des personnes de culture différente pouvaient facilement conduire à des malentendus. A mon arrivée, les incidents n'étaient pas rares.

Ma place habituelle était évidemment à mon bureau mais en cas de situation difficile avec un client, je ne demandais pas à ce qu'on vienne me voir ou que l'on me fasse suivre les emails, je me rendais dans l'open-space et de là je gérais, avec le collaborateur concerné, la situation. 

Je pouvais ainsi :

- Avoir accès à toutes les informations même celles que le collaborateur ne considérait pas importantes dans l'historique des échanges tout en désamorçant son éventuelle culpabilité (les apprentissages étaient réservés au débrief).

- Bien connaître le client grâce à la présence de collaborateurs séniors qui avaient déjà pu traiter ce dossier avec ses particularités pour caler au mieux la communication (ton juste, contenu, importance relative des différents interlocuteurs, culture de l'entreprise, etc.). N'étant pas le plus ancien présent, je n'avais pas cette connaissance. L'acquérir était une partie de mon apprentissage à moi.

- Réfléchir avec l'équipe à la suite à donner, proposer ma stratégie et répondre aux objections ou propositions très vite et sur le ton de la conversation.

- Faire passer la lettre mais aussi l'esprit de la stratégie et ainsi mieux donner mes instructions : l'équipe comprenant très vite et bien dans quel sens je souhaitais que nous allions, chacun pouvait contribuer au mieux de ses compétences à la résolution.

- Superviser les premières actions, même en mode routine pour ne pas risquer d'envenimer la situation trop tôt, et donner les seuils à partir desquels il faut venir me chercher à nouveau.

- Enfin, cela permettait, par la modélisation, de développer la confiance du reste de l'équipe qui assistait à la scène. Elle voyait d'une part qu'elle était soutenue et accompagnée dans les moments difficiles et d'autre part, elle développait, en situation, sa capacité à jouer sur les différents mode de communication (mail, téléphone essentiellement) pour éviter ou rétablir la dérive d'un incident de routine vers une crise.

Les lecteurs habitués de ce blog aurons noté que cette manière de faire permet de raccourcir et resserrer la boucle OODA (boucle de Boyd). Je vous renvoie à mes articles précédents à ce sujet (dont le 1er est ici).

La conséquence de tout ceci est que j'intervenais de moins en moins dans les cas liés à des erreurs de communication de notre part, que les clients difficiles ou réputés ingérables l'étaient moins voire plus du tout et que la qualité perçue de notre prestation avait beaucoup augmenté.

*    *    *

Cette stratégie largement axée sur mon positionnement physique dans les locaux a permis d'améliorer la confiance et la satisfaction de l'équipe et des clients en réduisant le nombre et la gravité des incidents et de me concentrer sur le reste de mes activités, essentiellement rédactionnelles, qui demandaient calme et concentration. Bref, je me rendais les choses faciles.

La place du chef d'entreprise, ou du manager, est un équilibre constamment ajusté à la situation entre l'action et la réflexion, la présence et le recul, le soutien et le laisser-faire.

La place du chef d'entreprise est donc partout où il peut le mieux remplir son rôle.


- Mèche courte

Il était une fois la Révolution - Film de Sergio Leone (1971)


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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Image par Gerd Altmann de Pixabay 

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