Leadership en action : diriger l'équipe dont on vient

Il y a quelques mois, je discutais avec un directeur d'une agence commerciale. Il y a cinq personnes dans son équipe et sa particularité est que, six mois plutôt, il en était un des membres. Son histoire m'a semblé intéressante à raconter à plus d'un titre.

Prendre en main une équipe est un moment toujours délicat. L'équipe n'est jamais à zéro en ce sens qu'elle a un passé, voire un passif, et qu'il va y avoir un premier temps de découverte réciproque. L'équipe va commencer à bouger depuis la position acquise sous l'empire de l'ancienne direction pour trouver un nouveau point d'équilibre prenant en compte la nouvelle. Le métier reste le même mais la confiance sera plus ou moins là, il en sera de même pour la cohérence et la cohésion. Enfin, il y aura la marque de la nouvelle direction.


Intuitivement, on comprend bien que lorsque le nouveau directeur est lui-même issu de l'équipe, les règles générales s'appliquent différemment. Certaines sont plus simples et d'autres beaucoup plus complexes. J'ai trouvé cet exemple très intéressant pour explorer cette situation.

Évidemment, le cas est anonymisé et le principal protagoniste a pu s'en assurer. Je vous propose de voir d'abord ce qui s'est passé puis les leçons que nous pouvons en tirer au regard du cadre le mieux à même de guider nos réflexions.

Les faits

Notre protagoniste, Étienne, est conseiller clientèle dans cette agence commerciale avec un certain nombre d'années d'expérience. Il connaît son métier.

Un jour, la directrice de l'agence doit s'absenter pour une durée courte. L'agence s'organise pour pallier cette absence et continuer de fonctionner le temps qu'elle revienne.

Mais voilà, l'absence se prolonge, à chaque fois renouvelée, de sorte qu'elle ne revient pas. La vie de l'agence s'adapte et Étienne, assez naturellement, fait fonction de directeur pour les besoins immédiats de fonctionnement.

Bientôt, la nouvelle tombe. La directrice ne reviendra pas. Se pose alors rapidement la question de son remplacement. L'équipe unanimement pousse Etienne à se positionner pour le poste. Étienne se fait un peu prier mais le poste l'intéresse. Le responsable régional, son supérieur, pousse également en ce sens. Bientôt, il est officiellement nommé au poste de directeur de l'agence.

La bascule

Quand je rencontre Étienne, il est dans ce poste depuis six mois. Il suit une formation de management. Sa situation, compte tenu du contexte de sa nomination, interpelle mais tout se passe bien.

Au cours de la conversation, il me partage un moment de vérité. Vous savez, ces moments où le temps s'arrête et qui marque une rupture.

Nommé directeur depuis peu, il s'attache à conserver des relations simples avec l'équipe, un peu comme si rien n'avait changé. Un midi toutefois, il entre dans la salle commune où l'équipe prend habituellement ses repas et à peine a-t-il franchi le seuil de la porte que le silence se fait. 

C'est la première fois que cela se produit. Étienne le comprend dans l'instant : il est directeur. A sa façon, par ce silence, l'équipe vient de lui reconnaître ce rôle et de le lui dire. Il n'en mesure pas immédiatement toute la portée mais c'est fait.

Pouvoir - Autorité - Légitimité

Selon Jean-Marie Petitclerc :

Le pouvoir se reçoit, l'autorité se construit, la légitimité se lit dans le regard de celles et ceux dont on porte le souci.

Ces distinctions sont fondamentales.

Étienne a manifestement le discernement et le sens de la mesure lui permettant de réussir dans ce poste. Mais dans sa façon de narrer cette histoire, il commettait une erreur conceptuelle de nature à nuire à son succès et à la bonne compréhension des raisons de celui-ci.

Dans son récit, il a d'abord évoqué son poste de conseiller des ventes puis la rupture qui, selon lui, est intervenue quand il est devenu officieusement directeur du fait de l'absence de la directrice. Sa nomination officielle n'ayant fait qu'entériner la situation, il y voyait une continuité dans cette reconnaissance formelle.

Dans l'échange, je lui proposais une approche différente fondée sur le triptyque décrit plus haut : qu'il y avait une continuité entre son poste de conseiller des ventes et son passage comme faisant fonction de directeur et que la rupture serait alors intervenue plus tard lors de sa nomination officielle.

La différence peut sembler ténue mais l'excellence managériale est au prix de ce niveau de sensibilité. 

Alors pourquoi ?

La raison est essentiellement la suivante : on peut considérer que, dans ce modèle, le leadership naturel d'Étienne consistait à cumuler autorité et légitimité.

Ces deux éléments se sont construits et développés au sein de l'équipe au fil du temps et ils ont trouvé à se révéler alors qu'Étienne devenait officieusement directeur. À ce stade d'ailleurs, il était tout à fait possible que quelqu'un d'autre soit nommé et qu'Étienne retrouve ses fonctions précédentes.

Le pouvoir lui a été confié par sa nomination. À cette date, ce ne sont plus seulement ses qualités reconnues qui lui confèrent la responsabilité de l'équipe mais le fait qu'il incarne la direction et plus largement l'entreprise à son niveau.

Au fil de notre conversation, son ton change un peu. Il devient plus grave. Il incarne plus la fonction et évoque plus ouvertement sa difficulté à ajuster son positionnement. 

Comment aurait-il pu en être autrement ? 

Le tout se passe bien du début devient plus nuancé. Les doutes et les questions affleurent. Ensemble, par l'échange, et via le modèle, Étienne relit ces derniers mois d'un œil neuf. Nous sommes évidemment entrés dans le détail de certaines situations.

Avec un bon concept, il nous est plus facile de regarder nos errements et nos apprentissages. Notre spontanéité y gagne. Étienne comprend vite bien mieux les raisons qui font que ce qui lui était simple est devenu plus compliqué, que la relation avec l'équipe change et que c'est normal. La conversation a ensuite bifurqué vers la notion des deux corps du roi (je vous en ai déjà parlé ici).

*    *    *

Je retire de cette expérience les confirmations ou enseignements suivants :

- La finesse de l'analyse avec le bon concept conditionne toute action managériale.

- Nombre de managers n'ont pas reçu les bases conceptuelles de leur métier. La raison en est simple : on ne leur apprend jamais.

- Étudier, étudier encore, étudier toujours.


L’art de l’exercice de l’autorité, c’est l’art du funambule. Tout est toujours question d’équilibre !

Jean-Marie PETITCLERC - Construire l'autorité sur la bienveillance et l'exigence (article)


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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Image par Hans de Pixabay

Commentaires

  1. Merci pour cet article et ce partage d'analyse, nul doute que cette histoire va faire écho...

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    1. Merci pour votre retour. Vous pouvez, si vous le souhaitez, être acteur de cet écho.

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