Comment être un manager courageux ?

J'écrivais récemment sur la distinction rarement faite, mais toujours éclairante, entre pouvoir et domination en management.

Le hasard (?) a fait que ces derniers mois, j'ai rencontré professionnellement deux femmes, managers, qui ont pris la direction d'un service. Elles ont, chacune, été confrontées à une situation similaire.

L'une d'elle a été courageuse.

Ce n'était pas une bonne idée.



Le courage est une valeur ou une qualité d'autant plus fameuse qu'elle est mal comprise. Il est souvent associé à une imagerie héroïque et solitaire -la personne seule qui se dresse face à l'adversité- alors que le courage est une qualité essentiellement collective, nous allons le voir ensemble.

Deux histoires qui se présentaient de la même façon...

Les similitudes de la situation de départ sont troublantes.

Les deux femmes ont une faible expérience mais sont des talents prometteurs. Elles sont appelées à prendre en main un service après le départ précipité du manager précédent qui "a craqué". S'en est suivi une vacance de plusieurs semaines voire quelques mois durant laquelle l'intérim a été assuré par le N+2 qui, n'étant pas sur place, a suivi les affaires de loin.

Dans les deux cas, elles trouvent des personnes dans ces services qui ont largement pris leurs aises avec le rythme de travail, bref, ça bulle.

Leurs prédécesseurs respectifs leur sont décrits comme n'ayant pas su trouver leur place.

Une entrée en matière Rock n' Roll...

Première de nos protagonistes, que nous appellerons Anna, premier jour. 

Le matin, le N+2 l'accueille, lui fait visiter les lieu et lui présente les employés présents.

A un moment, durant le tour, le N+2 se tourne vers d'un des employés et lui demande quelque chose, il refuse. Le N+2 reste sans réaction, un silence et passe à la suite. Anna observe, ne dit rien. C'est une femme avec des principes et qui sait ce qu'est d'incarner la hiérarchie, l'échange qu'elle vient vivre lui semble lunaire.

Plus tard, seule avec le N+2, elle revient sur l'incident. Le N+2 convient qu'il y a un problème et que son règlement fait partie de ses attentes.

Une autre plus douce

Pour notre seconde protagoniste, Béatrice, l'arrivée est bien plus tranquille, peut-être même trop.

Elle se rend rapidement compte que la vie du service est douce, que toute activité de démarchage commercial a cessé et que chacun se laisse vivre.

Un même constat...

Si les entrées en matière ont été différentes, la situation réelle est très similaire. Il existe dans chaque service un groupe de 2-3 personnes, un clan, qui fait la loi et qui a déjà eu la peau du précédent. Chez Anna, le clan avait réussi à convaincre le N+2 que c'était le chef de service le problème, chez Béatrice, le prédécesseur avait rendu son tablier.

Mais pas la même stratégie

Anna n'avait pas du tout apprécié cette insubordination le premier jour et eu vite fait de le faire savoir. Elle a décidé très vite de s'attaquer au noyau dur de la résistance. rapidement pourtant, elle se rend compte que ce petit groupe a un accès direct au N+2 et que ce dernier ne souhaite rien plus que la paix. Quelques mois plus tard, Anna est isolée et ne sait pas très bien ce qui se passe et ce qui lui arrive, toujours est-il qu'elle a décidé de partir.

Béatrice a mieux vu ce qui se passe dans son service. Elle a goûté le jour où le chef des rebelles, lors de son entretien annuel, lui a dit que si elle avait besoin de conseils pour diriger l'agence, il était là pour l'aider (!?). Les mois ont passé et le clan se trouve chaque jour plus isolé grâce à un patient travail de remise en ordre de la communication et des priorités. Les autres membres de l'équipe, choqués par ce qui se passait, sont aujourd'hui de son côté et le N+2 garde confiance en elle malgré les tentatives de déstabilisation.

La vison du stratège

Sur les situations :

1/ Dans les deux cas, les managers arrivent dans un service alors que la cause du départ des prédécesseurs qui leur ait donnée est erronée. Les N+2 semblent ne pas connaître la réalité des situations.

2/ Anna a ignoré le premier signal d'alerte sur l'état réel de sa situation. Une telle insubordination, dès le premier jour, devant le N+2 et le reste des employées, et laissée sans la moindre réaction, interpelle. Elle n'y a vu que le défi d'une situation à rétablir au plus tôt, pas une invitation à la prudence devant un problème dont les contours pouvaient dépasser son périmètre.

3/ Par son caractère, Béatrice a eu plus de chance. En travaillant sur un terme plus long et en se garantissant des alliés, elle a reculé le moment d'être courageuse mais aussi multiplié ses chances de succès. Elle a su préserver un axe stratégique : garder la confiance du N+2.

4/ Dans les deux cas, le prédécesseur a été présenté comme cause du problème.

Comment aborder ce point ?

En réalité, c'est assez simple : on s'en moque.

Pourquoi ?

Les cas possibles sont peu nombreux :

- Soit c'est vrai -le manager posait problème mais l'équipe est ok- et on doit gérer une équipe bien mais qui a souffert. La mise en place d'un management sain et de patience pourra suffire.

- Soit c'est l'équipe qui pose problème et. à ce moment, la posture du précédent manager -trop ceci ou pas assez cela- est quasiment indifférente. Qu'il ait été mauvais ou bon mais mangé par l'équipe importe peu pour la suite. Nos deux protagonistes partagent l'erreur d'avoir, dans un premier temps, cherché à travailler sur ce que le précédent avait pu faire ou non plutôt que sur l'équipe présente.

Les conseils :

1/ Croire ce que l'on voit :

Les gens nous hurlent qui ils sont, mais on ne les écoutent pas.

Et ce, dès la première seconde.

2/ Prendre le temps de l'analyse :

Tout comme le yin précède toujours le yang, comprenez et préparez le terrain de façon à ce qu'au moment d'être courageux, vos chances soient maximales. La tentation est grande d'agir vite sur la base de ce que l'on a appris à faire -l'entretien de recadrage tient ici une grande place- alors que le rôle du manager est d'abord et avant tout de comprendre ce qui se passe par l'analyse et la synthèse qui fournit, in fine, le plan d'action.

3/ Avant d'être courageux, assurez-vous d'avoir des alliés :

Mourir peut attendre. J'utilise souvent la métaphore du soldat qui sort le premier de la tranchée et monte à l'assaut, bien persuadé que les autres le suivent et qui, arrivé à la ligne adverse, se rend compte que non seulement il est seul mais aussi que son supérieur hiérarchique et un partie de son équipe font partie des personnes qui lui tirent dessus.

Toute communauté humaine est plutôt conservatrice. Les modalités de fonctionnement, si elles ne sont pas parfaites, sont en place pour des raisons souvent fortes à défaut d'être satisfaisantes. Pour le changement, le nouveau venu aura mieux fait de mobiliser les forces présentes que de se battre seul. Il y a évidemment des gens qui, seuls, renversent les montagnes mais ils sont au management ce que les poissons volants sont au reste des poissons : ça existe mais ce n'est pas la loi du genre.

Comme évoqué dès le début, c'est la confiance, le sentiment de sécurité psychologique qui provoque le courage. Et tous sont des notions collectives.

La confiance est collective car elle implique la réciproque, le sécurité est collective car devoir assurer sa propre sécurité, c'est être en insécurité et le courage est collectif car il consiste à faire, s'exposer, pour les autres ce que l'on pense qu'ils feraient pour nous.

Conclusion

Les managers en prise de poste manquent d'un accompagnement individualisé. Ni Anna, ni Béatrice, n'en ont bénéficié. Nous rejoignons ici des problématiques que l'on rencontre aussi avec les managers de transition : il est très difficile d'entrer dans une situation complexe avec succès sans pouvoir compter sur un soutien professionnel et bienveillant que la hiérarchie classique est manifestement bien en peine de fournir.



Il y a courage et courage, celui du tigre et celui du cheval.

Ralph Waldo Emerson

Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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