C3SAR : Outil pour la Simplicité en Management

Quand j'ai débuté comme avocat, j'ai vite compris qu'il n'y avait jamais que deux parties à un litige ou un procès, quels qu'ils soient : 

- celle qui a intérêt à la clarté,

- et celle qui a intérêt au flou.

Présenté comme cela, c'est simple, non ? Mon goût pour la clarté a trouvé à s'exprimer ailleurs, finalement.

Pour la simplicité en management, il n'y a à mon sens qu'une seule idée à retenir : la clarté. Clarté des rôles, des responsabilités, des faits, des décisions, des communications, des objectifs, des enjeux, des attentes. 

Dès lors, la seule action managériale attendue en cas de difficultés : clarifier les rôles, clarifier les responsabilités, clarifier les faits, clarifier les décisions, clarifier les communications, clarifier les objectifs, clarifier les enjeux, clarifier les attentes, etc.


Pelouse interdite Source

En français, nous avons un lexique immense autour de la clarté pour exprimer cette idée à propos des qualités d'une personne ou d'une chose : brillant, éclairant, lumineux, étincelant mais aussi transparent, translucide, limpide, cristallin. Illuminé reste, en revanche, à éviter…

La clarté, c'est donc à la fois produire la lumière mais aussi la réfléchir ou la laisser passer.

Or, il faut constater que la complexité l’emporte sur la simplicité dans la plupart des organisations. 

Il est normal que l'organisation devienne complexe

Imaginons que cela soit normal, qu'il soit logique que la complexité s'impose "naturellement". Quelles en seraient les raisons ? 

Nous les connaissons et pratiquons tous : expansion des processus et des règles, spécialisation des rôles, adaptation aux marchés et aux nouvelles technologies, effet rebond, recherche de solutions sur-mesure, influence de la culture organisationnelle, gestion des risques, évolution des objectifs et des stratégies, etc, etc.

En résumé, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? 

Parce que c'est facile.

Dans nos organisations, il est souvent bien plus facile de faire compliqué et difficile de faire simple. Comment justifier de ne pas renforcer une procédure suite à un incident ?

En management, distinguer la simplicité de la facilité est essentiel, car si les deux notions peuvent paraître similaires, elles impliquent des approches et des résultats très différents :

La simplicité implique une recherche de clarté et d’efficacité. Simplifier, c’est aller à l’essentiel, clarifier les processus, les objectifs et les responsabilités pour réduire la complexité inutile. Cela demande un effort de réflexion et une compréhension profonde des enjeux pour faire des choix éclairés et prendre des décisions qui simplifient le travail et facilitent la compréhension pour tous. La simplicité rend les choses accessibles sans sacrifier la qualité ou la rigueur.

En revanche, la facilité consiste souvent à choisir la voie la moins contraignante, à éviter les défis ou à ne pas traiter les problèmes en profondeur. Elle peut mener à des décisions superficielles, où l'on cherche à éviter la complexité sans résoudre les causes fondamentales des problèmes. Cette approche peut sembler efficace à court terme, mais elle risque de générer des obstacles à long terme ou de masquer des difficultés importantes.

Tout l'enjeu devient donc de faire en sorte qu'il soit difficile de faire compliqué et facile de faire simple.

La simplicité n'est pas un but ! C'est un chemin.

Après mûre réflexion et plusieurs échanges, j'en suis venu à l'idée que LA caractéristique fondamentale d'une relation (managériale) simple est la suivante : 

Les choses sont ce qu'elles apparaissent.

Dit autrement, quand l'habit fait le moine.

Cela a deux conséquences directes :

- que la réalité soit le principal objet du travail et l'étalon de la performance. Elle est donc le point d'entrée et de sortie de toute action managériale visant la simplicité.

- que la communication n'ait d'autres objets que de traduire simplement cette réalité dans sa complexité et de faciliter l'action et l'initiative dans le sens de la stratégie fixée.

Ceci implique d'être prêt à dire la réalité à des personnes prêtes à la voir et de partager la stratégie avec les mêmes personnes prêtes à agir dessus. Cela se prépare.

Comment faire simple, pour faire simple ?

Tout comme la complexité s'installe sans volonté de faire compliqué, la simplicité ne s'installe pas par la seule volonté de faire simple.

En revanche, la complexité s'installe peu à peu avec des conditions favorables et un accueil bienveillant. La simplicité s'installera de la même façon.

Mieux vaut donc se concentrer sur comment créer, installer, pérenniser des conditions et un environnement favorables à la simplicité.

Le mot simple vient d’une racine indo-européenne qui signifie " plié une fois ", une sorte d'anti-origami, facile à faire, facile à défaire.

Dans le cadre d'un management plus simple, les concepts de "parole fiable" et "être là pour faire grandir l'autre" doivent se traduire par des principes clés qui favorisent une atmosphère de confiance et d'efficacité. 

Simple comme C3SAR

Après de mûres réflexions, plusieurs échanges d'idées et quelques lectures, j'ai voulu faire émerger un acronyme facile à retenir pour aider à mémoriser 5 notions que je souhaite simples : 

C3SAR :
*Clarté,
*Climat de Confiance,
*Stratégie,
*Autonomie,
*Réalité.

Assez spontanément, c'est mieux que flou, défiance, errance, dépendance et illusion. 

Je tiens à poser ici le fait que notre ressenti est très efficace pour détecter les situations simples, fluides, faciles.

On reconnait aisément un lieu où il est simple de s'exprimer, d'échanger. Une situation où il est simple de savoir ce qui se passe et connaître notre rôle, les attitudes à avoir. Simple de donner le meilleur et de faire face à un environnement difficile ou très dégradé. Simple de partager ses doutes et ses questionnements.

Bien plus que n'importe quel outil, cette sensation est notre meilleur guide.

La clarté, vue plus haut, suffirait mais cette notion peut apparaître trop théorique et j'ai voulu un outil plus pratique, plus utilisable.

Un seul et même ensemble

Ces 5 notions ne fonctionnent qu'ensemble et chacune de nos actions, de nos abstentions ou de nos communications doivent les accomplir toutes. Simple, pas de choix à faire. Imaginez-les reliées à chacune des autres par autant de fils. 

Une exigence respective et réciproque

Chacun des membres de l'équipe (se) doit évidemment travailler à faire sienne cette démarche.

Je vous invite à lire un exemple d'une communication sur un nouveau logiciel cherchant à se conformer au C3SAR :

*    *    *

Je suis ravi de vous présenter aujourd'hui notre nouveau progiciel (confiance), un outil pensé pour simplifier et optimiser notre travail au quotidien (autonomie). 

Ce progiciel, en développement depuis des mois dans le cadre du plan "HORIZON BEYOND" (stratégie),  apporte des fonctionnalités innovantes qui répondront aux besoins de notre équipe en matière d'efficacité et de collaboration (autonomie). En l’intégrant, nous nous alignons sur la stratégie globale de notre organisation, visant notamment à :

1/ renforcer notre compétitivité,

2/ et notre réactivité face aux défis actuels.

Je suis convaincu que cet outil sera un véritable atout, et je suis ici pour vous accompagner dans sa prise en main (confiance). Ce nouveau progiciel vous offrira la flexibilité d’adapter certaines fonctionnalités à vos méthodes de travail (autonomie). Une phase d’expérimentation est prévue (stratégie) pour que chacun puisse s’approprier l’outil en fonction de ses besoins (autonomie).

Bien sûr, chaque nouveauté comporte des défis (confiance), et je suis conscient du temps d'adaptation nécessaire (réalité). Nous prendrons donc le temps de relever ensemble les obstacles qui pourraient se présenter (confiance). Je vous encourage à explorer cet outil (autonomie) et à partager vos retours pour que nous puissions en tirer le meilleur parti (clarté).

*    *    *

Mon intention est de faire simple, je ne vais donc pas disserter sur chaque notion. L'évidence doit seule régner. J'énoncerai le principe et je donnerai quelques éléments d'illustration. 

Clarté

    - Redonner leur sens aux mots

Interroger sur comment remettre les affaires d'un pays en ordre, Confucius a répondu : "redonner leur sens aux mots" (voir réalité).

Cela passe notamment par une communication claire et directe, sans jeu psychologique ou de pouvoir (voir confiance). 

    - Rassembler ses idées, exprimer les enjeux

Les maths peuvent aussi nous aider. Illustrer sa communication de formes géométriques élémentaires (cercle, rectangle, triangle) et communiquer sans jamais atteindre la dizaine d'éléments à retenir ; 9 est un maximum, entre 1 et 5 un idéal.

S'agissant des éléments structurant de son activité, personne ne devrait avoir à utiliser un nombre supérieur à 5 pour la décrire. C'est le seul moyen de pouvoir véritablement s'en saisir (voir autonomie). (vidéo sur le sujet ici EN)

Évidemment, je peux être amené à produire plus de 5 dossiers par an, mais pas plus de 5 catégories de dossiers ou pas dans plus de 5 domaines. Ne pas encadrer directement plus de 5 personnes, 5 services, 5 départements. La stratégie ne doit pas avoir plus de 5 axes principaux (idéalement 2 à 4). Le mouton, pas plus de 5 pattes.

Si vous êtes au dessus, il y a redondance ou encore un effort d'organisation de ses idées à faire et la clarification des enjeux peut vous y aider (stratégie).

Climat de Confiance

La défiance est un grand pourvoyeur de complexité. Un climat de confiance rend le chemin vers la simplicité facile.

La stratégie que je propose pour (r)établir ou préserver un climat de confiance repose sur deux axes principaux, qui sont :

    - Une parole sincère

En plus de sa clarté, notre parole doit nous engager. C'est souvent là que se niche une qualité rare : le courage. Dire ce que l'on fait, faire ce que l'on dit. Croire le manager ne doit pas être "bête" ou "naïf".

    - Une intention positive : faire grandir

Susciter l'élan de contribution et l'orienter vers la performance et l'autonomie. La seule satisfaction légitime d'un manager est la réussite des membres de son équipe.

Chaque membre doit être accessible pour son équipe, prêt à écouter et à offrir du soutien lorsque c'est nécessaire. Reconnaître et célébrer les succès de l'équipe et des individus renforce la motivation.

La confiance n'exclut pas le contrôle, dit-on. Cette phrase n'a pas de sens. La confiance est a priori, le contrôle a posteriori. Or je vois souvent l'inverse (voir autonomie). 

Stratégie

Une stratégie absente ou non partagée, voire un agenda caché, va conduire le dirigeant ou la manager à devoir s'arranger avec les 4 autres éléments.

 - Partagée

En pratique, elle doit se fonder sur des valeurs et se décliner selon quelques axes principaux (voir clarté). Cela permet également de canaliser l'initiative des membres de l'équipe (voir autonomie).

 - Jugée sur ses effets concrets

Le lien entre théorie et pratique ne doit jamais être rompu. La théorie, la pensée, la planification doivent être applicables. La réalité doit être pensée, conceptualisée (voir réalité).

Or, dans nos organisations, deux discours nient ce lien : une forme de  volontarisme éthéré transformant la stratégie en pur exercice de l'esprit d'une part et un pragmatisme étroit de l'autre transformant le management en recueil de recettes parfois contradictoires. 

Sans parler des tacticiens de cocktails ou des stratèges d'antichambre… (voir confiance)

Autonomie

- Subsidiarité

Des responsabilités bien définies et respectées aussi bien en dessous qu'au-dessus dans la hiérarchie. Chacun est responsable des tâches et pouvoir que son grade hiérarchique commande. Ceci exclut les niveaux inférieurs qui pourtant sont souvent ceux où on a pu exceller. Passer de faire à faire faire.

- Participation

Votre processus de décision doit-il être ouvert ou fermé ? Les deux, mais pas au même moment. Ouvert avant, pour recueillir avis, propositions, alertes, idées, informations. Fermé après, on applique. Puis ouvert aux résultats et aux enseignements et ainsi de suite (voir boucle OODA de BOYD dans ce blog). Ce processus est itératif. 

Cette alternance ouverture / fermeture est comme la respiration du processus décisionnel.

La participation des équipes aux décisions a donc sa place et son moment. 

Réalité

- Conscience de la réalité : la souplesse plutôt que la facilité

La réalité comme point de départ et d'arrivée de toute action managériale. Or la réalité est dure, ingrate et il est plus simple de profiter de son ascension hiérarchique pour s'en extraire, s'en couper. Les équipes doivent savoir que vous vivez dans le même monde qu'eux.

- Régler les problèmes, pas les comptes

Le lien au réel permet aussi d'améliorer rapidement et efficacement les choses. 

Toutes les organisations ne le préservent pas. On les reconnaît aisément. Elles jugent plus facile de régler son compte à celui ou celle qui parle de la réalité que de régler le problème que celle-ci pose.

La seule question viable devient alors : que se passe-t-il vraiment ?

Les membres de l'équipe calent le plus souvent leur communication avec leur supérieur selon l'anticipation qu'ils font de sa réaction. 

S'ils sentent qu'elle vous intéresse pour résoudre le problème, ils vous en parlerons, s'ils savent qu'elle ne vous intéresse pas sauf à régler leur compte ils vous la cacherons. 


Conclusion

Un management simple se prépare. Cela passe notamment par mettre / laisser son ego à sa place. 

Une communication claire et directe demande un effort préalable et constant dans un environnement qui ne le permet pas toujours.

Or, nos institutions et nos organisations promeuvent, de fait, l'inverse le plus souvent. Certains ne veulent pas entendre le mot "problème"… ?!

Nous sommes donc "formés" depuis le plus jeune âge à détecter les messages sous-jacents et nous sommes parfois désorientés quand il n'y en a pas.

Pensez que l'affichette "pelouse interdite" ne signifie pas que la pelouse est interdite -d'ailleurs, elle est présente tout autour- mais qu'il est interdit de marcher dessus. Il faut connaître le sous-texte pour comprendre.

En anglais, le message "keep off the grass" est, de ce point de vue, beaucoup plus clair et simple à comprendre.

En définitive, la simplicité en management représente bien plus qu'une simple tendance. Elle constitue une véritable philosophie d'action, visant à rendre le management plus efficace, plus adaptable et plus humain. 


Comment réussit-on à installer une pancarte 
“Défense de marcher sur la pelouse ?”
De Jean-Loup Chiflet / Réflexions faites... et autres libres pensées


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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