Réunionite : Le Trou Noir du Management

Il y a 25 ans, j'entrais à l’École des officiers de la gendarmerie nationale (EOGN), à Melun (devenue Académie militaire) pour une formation militaire de 4 mois comme officier de réserve.

Je n'étais pas le meilleur des élèves de cette école mais nombre de ces enseignements m'accompagnent encore quotidiennement aujourd'hui.

25 ans plus tard, je mesure que toutes les fois où j'ai cru pouvoir m'éloigner de ces enseignements, j'y suis revenu plus admiratif encore de leur pertinence et de leur efficacité.

À titre d'exemple, le rôle central de la responsabilité indéfectible du leader, seule gage de ses progrès et apprentissages continus. Le corolaire de cette responsabilité est le besoin d'aide et de soutien comme autant de guides de l'action de ses pairs et supérieurs. 

Évidement, en 25 ans, j'ai travaillé (un peu? beaucoup?) et progressé (un peu? beaucoup?).

Aujourd'hui, je remarque que la question de l'espace et du temps en management est peu ou mal traitée. Les astrophysiciens pourtant nous aident ; espace et temps sont la même chose.

J'ai eu l'intuition d'une application bien plus concrète de cette idée récemment à la lecture d'un article sur la sempiternelle question de la réunionite.


Espace-temps

La réunionite est le nom donné à un phénomène qui touche nombre d'organisations dans lesquelles les réunions sont jugées inutiles, à la fois trop nombreuses et inefficaces.

La réunionite est souvent perçue comme une maladie de l'organisation qu'il faut traiter. Les managers sont alors formés à la préparation, l'animation et le suivi des réunions avec un succès... mitigé.

Or la réunionite n'est pas une maladie, elle en est le symptôme et même les Shadocks le savent.

Et si la réunionite était normale, de quoi serait-elle le symptôme ?

Et si nous posions l'hypothèse que ces réunions, bien que très désagréables, sont en fait utiles. A qui, à quoi le seraient-elles ?

A qui ? La réponse est simple car toujours la même : au chef, donc. 

Une large part de son travail étant d'orienter l'activité dans l'espace et le temps, la réunion est alors une singularité : un événement qui se déroule en un même endroit et à un même moment.

La multiplication des réunions inutiles sont le marqueur de l'incapacité du chef à orienter efficacement les différents espaces et temps du travail. Cela a pu être douloureusement observé avec le télétravail dont l'essor a mis à nu les failles du duo stratégie-contrôle, duo que l'on peut observer la traduction erronée dans la phrase la confiance n'exclut pas le contrôle.

Le duo stratégie (avant) et contrôle (après) permet au management de fonctionner sur ses deux pieds. Or, il est fréquent que l'absence de stratégie soit compensée par plus de contrôle. Évidement, cette facilité a été cruellement mise en défaut par le télétravail et la perte du contrôle physique direct sur les salariés concernés.

L'éloignement physique et l'étirement des temps de réponse, notamment par la nécessité de formalisation imposée par les moyens de communication asynchrones, ont mis en lumière un besoin en stratégie de management qui n'avait pas été anticipé ni préparé.

Pourquoi les managers ne le font-ils pas ? La plupart ne sont pas formés à le faire. Pire, pas formés à le penser.

J'ai déjà parlé de la question de l'espace en management (voir ici). Celle du temps se limite le plus souvent à une date ou une durée avec deux outils que sont l'horloge et le calendrier (me faire penser à écrit un billet sur ce seul sujet).

Le management est ce qui reste quand le manager n'est pas là

La réunion crée une singularité spatio-temporelle. Elle crée du ici et maintenant

C'est l'exact inverse de la stratégie managériale qui crée la capacité à agir ailleurs et plus tard. C'est la fameuse autonomie tant promue mais pourtant si peu désirée.

Attention, la réunion est utile. Une réunion permet normalement de rythmer et de piloter les activités, 

- soit de manière régulière en clôturant chaque période et en ouvrant la suivante pour s'assurer de se situer dans la trajectoire du projet ou du travail des équipes alors que chaque confrontation avec le réel nous en écarte légèrement,

- soit de manière exceptionnelle quand une situation dérive en crise.

Il est alors simple de différencier une bonne d'une mauvaise réunion.

Une bonne réunion est alimentée par le passé (préparation) et alimente le futur en avançant d'une étape. Ainsi, l'observation devient pistes de réflexion, les pistes de réflexion -> scénarios, les scénarios -> décision, la décision -> mise en œuvre, la mise en œuvre -> pilotage, pilotage -> débriefing, débriefing -> pistes d'amélioration, etc (et toutes celles que j'ai oubliées).

Une mauvaise réunion, en revanche, siphonne passé et futur au profit du seul présent, réécrivant le premier et repoussant le second (à ce stade, une guerre d'ego est un plus…).

Les réunions programmées d'une fois sur l'autre devraient être bien plus nombreuses que celles qui ne le sont pas. Le croisement des courbes révèle alors bien plus de la crise de la gestion que la gestion de crise.

*    *    *

La réunionite crée aussi une distorsion chez les participants. Les personnes très à l'aise pour occuper l'espace et le temps (de parole) prennent naturellement l'ascendant sur celles qui ont besoin de recul et de réflexion pour contribuer.

La multiplication de réunions peu ou pas préparées et sans suivi sérieux va progressivement écarter les personnes qui cherchent à comprendre au profit de celles qui cherchent à agir. La conséquence prévisible est une distorsion des perceptions de la réalité dans les réunions et de celle partagée par l'ensemble des personnes.

Le risque est alors que des décisions qui en sont issues soient moins bien comprises et acceptées, voire plus difficiles à mettre en œuvre.

La réunion se transforme en trou noir qui avale tout et dont aucune lumière ne ressort.

La présence à ces réunions inutiles est alors d'autant plus nécessaire qu'il peut tout en ressortir, et surtout n'importe quoi. 

Les Shadocks l'avaient bien compris.

Il vaut mieux pomper [aller en réunion] et qu'il ne se passe rien plutôt que de ne pas pomper [aller en réunion] et risquer qu'il se passe quelque chose de pire.

Principe Shadock 


Thierry Cammarata

ⵣ arbitrium14

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