Boucle OODA (2/5) : Orienter

Pour la deuxième partie de ce cycle consacré à la prise de décision au travers de l'analyse la boucle de Boyd (OODA), nous en venons à la phase Orienter. Cette phase doit permettre, au regard de l'Observation, et selon notre objectif, de préparer au mieux la phase Décider qui va suivre.

Cette étape est essentielle. Non pas au sens qu'elle pourrait se suffire, mais parce qu'elle est au cœur de ce qui distingue cette méthode de beaucoup d'autres.

La phase d'Orientation inclut la déconstruction (analyse) et la reconstruction (synthèse) des données issues de l'Observation avec pour objectif de produire des options, des scénarios qui seront l'objet de la Décision.

C'est notamment ici que la pensée stratégique se déploie.


Ici encore, comme vu dans le précédent billet, le jeu des échecs échoue à décrire la réalité. Dans la vie réelle, il est impossible de calculer toutes les options ou tous les scénarios possibles.

Elle peut se résumer en une phrase : penser ce que l'on pense.

(Pour bien comprendre ce qui suit, la lecture du billet sur Observer est recommandée)

Orienter : un but

Avant toute chose, Orienter est le siège de votre but. S'il n'y en a pas, on ne peut parler de stratégie.

Elle se différencie notamment de la planification par le fait qu'elle invite à penser l'adversaire. Cet aspect sera traité dans le cinquième billet qui sera consacré à l'utilisation pratique de la boucle de Boyd.

Cet objectif est un compromis entre :
- nos aspirations potentiellement infinies et
- nos moyens par nature limités.

Soit, de façon plus précise, entre :

- ce que je sais et ne sais pas,
- ce que je veux et ne veux pas,
- ce que je peux et ne peux pas,

mais aussi entre :

- Ce que je peux savoir et ce que je ne saurai jamais,
- Ce que je peux vouloir et ce que je ne voudrai jamais,
- Ce que je peux pouvoir et ce que je ne pourrai jamais.

L'objectif reste ajustable. Il peut y en avoir plusieurs s'ils ne sont pas contradictoires.

Orienter : une identité

Orienter est aussi le siège de tous les éléments qui colorent notre façon, ou celle de l'entité considérée, de traiter les données reçues et de préparer la phase de Décision. On y trouve :

- notre objectif donc,
- nos observations, mais aussi
- notre culture, notre histoire, nos expériences
- nos connaissances, nos compétences, nos croyances
- notre état de forme et d'esprit,
- notre moral(e), notre éthique,
- notre génétique,
- nos freins, limites,
- nos ressources,
- nos prévisions,
- notre imagination,
- nos souvenirs,
- nos éléments de personnalité (qualités, défauts)
- nos émotions,
- notre corps,
- nos moyens d'action,
- notre cadre juridique,
- nos méthodes,
- notre perception générale de l'environnement, les conseils reçus,
...

Ainsi, avec des résultats de la phase Observer identiques, chaque personne, chaque entité, va pouvoir produire une vision différente de la situation et décider puis agir différemment.

Orienter : une stratégie

C'est aussi le siège de la stratégie dans laquelle la décision à suivre va s'inscrire et qui garantit la continuité de l'action.

Il existe de nombreuses définitions du mot stratégie.

J'en retiens une inspirée des travaux de Clausewitz : 

La stratégie est "l'organisation dans son ensemble de la puissance (militaire)." Puissance ici comprise comme étant la capacité à agir et prévaloir. 

Pour caractériser cette capacité à agir, je reviens sur triptyque évoqué plus haut :

SAVOIR - VOULOIR - POUVOIR et leurs relations.

- Savoir : l'information, le renseignement mais aussi la connaissance et l'analyse.

- Vouloir : la volonté, la légitimité, la décision, la responsabilité, le but.

- Pouvoir : les moyens, les compétences, l'action proprement dite sur le réel.


Naturellement, ces trois éléments interagissent pour être efficaces ; isolés, ou même par deux, ils sont impuissants :

Ces éléments sont nécessaires en ce qu'ils nourrissent l'intellect mais ce même intellect a aussi tendance à privilégier le vouloir (je veux que ça change, je ne veux plus de ceci, moins de cela).

Le discours dominant en entreprise est le même (quand on veut, on peut !). Il place le vouloir comme principal moteur de la l'action sur le réel, ce qui n'a pas de sens. Ce faisant, il place au second plan l'apprentissage (savoir) ou le développement des compétences (pouvoir) notamment.

C'est aussi résoudre la contradiction inhérente à cette phase : analyse - synthèse.

Le sens de l'analyse pousse à entrer dans les détails, voire à s'y perdre.

Le sens de la synthèse pousse à rassembler et organiser sa pensée, quitte à passer rapidement sur l'analyse ou s'en passer (croyances).

Dans les deux cas, ces penchants mettent en péril la prise d'une bonne décision. A ce stade, l'expérience est un grand atout. Mais elle ne protège pas ce certains biais.

En effet, sommes nous sûrs de connaître la façon dont notre cerveau fonctionne ?

Orienter : un cerveau

Avant même d'être stratège, d'Orienter, notre cerveau pense. Et pour lui : 

Penser, c'est d'abord arrêter de penser.

En effet, penser est une activité qui réclame une grande quantité d'énergie, d'oxygène. Le cerveau ne peut le faire très longtemps. Il est conçu pour arrêter de le faire et sa méthode principale pour y arriver est l'automatisme.

Notre cerveau est saturé d'information, et il l'a toujours été, nos cinq sens l'alimentant en permanence de signaux divers. 

Son premier rôle est de les trier de façon automatique. Il est donc essentiel pour lui dans un premier temps d'apprendre pour, dans un second, mettre en place ces automatismes.

La conduite automobile, par exemple, est une activité qui, après une phase d'apprentissage parfois longue et difficile, est devenue largement automatisée par le cerveau. 

Or, il suffit de traverser la Manche pour se rendre compte combien le cerveau fatigue vite dans une conduite inversée. En effet, si la plupart des règles de conduite sont les mêmes (principe des limites de vitesse, priorités, etc), l'inversion du sens de circulation implique, pour s'adapter, une consommation d'énergie importante dans les premiers jours. 

Nos automatismes, nos réflexes, dans ce cas sont inadaptés et même dangereux. Dans cette phase "entre deux", alors que le système français est encore bien présent et que le système anglais commence à s'installer, et dans un situation faisant appel à une action réflexe, comment savoir si le premier qui vient est bien issu du bon système ? En clair, je dois me déporter pour éviter une collision. Mes mains "veulent" tourner le volant à droite. Est-ce le bon choix ?

Ainsi, notre cerveau possède schématiquement deux modes de fonctionnement : la pensée automatique (système I) et la pensée adaptative (système II). Il cherche, pour économiser son énergie, à passer de la seconde à la première. Attention, chacun pour sa part est le siège des biais cognitifs.

Cette pensée automatique est absolument nécessaire pour la plupart des activités quotidiennes. Elle permet de décider et d'agir très rapidement quand nous observons des éléments clés dans un contextes connus. Si je reprends mon exemple de la conduite : rouge, je m'arrête et vert, je passe.

La pensée adaptative, elle, consiste à ne pas laisser notre cerveau décider à notre place notamment face à une situation inédite.

La pensée automatique a tendance à s'étendre à tous les domaines de la vie (relations humaines, politique, entreprise...) alors que ce n'est pas forcément sa place.

Ainsi, face à de nouvelles données, si nous restons en mode automatique, allons nous avoir tendance à :

- rechercher à nouveau des informations de façon routinière ou habituelle,
- recevoir les nouvelles, inhabituelles, avec réticence, rigidité ou jugement,
- les traiter de façon à simplifier, généraliser, tracer les lignes claires,
- les conceptualiser sur la base de croyances ou de certitudes,
- agir de façon stéréotypée ou avec empirisme,
- nous positionner au regard de l'image sociale ou selon le besoin de reconnaissance.

Ce mode de pensée pousse ainsi à faire des raccourcis, générer des croyances, sans se réinterroger sur leur validité. Il est de plus confortable est rassurant.

A l'inverse, la pensée adaptative, ou complexe, nous conduit à ce que Boyd a appelé "un cycle de destruction-construction" des concepts :

- rechercher des informations avec curiosité, goût de la nouveauté,
- les recevoir avec souplesse, sans jugement préalable,
- les traiter avec nuance et singularité,
- les conceptualiser avec recul et relativité,
- agir avec réflexion,
- se positionner au regard de ses opinions personnelles.
(comme fruit de ce travail complexe de recueil et d'analyse d'information et non pas une simple croyance ou une idée préconçue issue du mode automatique)

Ainsi, penser, c'est aussi penser contre soi-même pour éviter ou réduire au plus vite les écarts entre notre perception et la réalité.

Ce mode de pensée invite à se plonger dans le nouveau sujet et à assumer cette phase inconfortable mais transitoire et pleine de promesses du :

Je ne sais pas (encore).

C'est l'étape de l'entreprise apprenante ou de l'intelligence collective. 

Ainsi, hormis le cas des actes-réflexes, la pensée adaptative doit être privilégiée dans un premier temps pour toute situation nouvelle, inhabituelle, complexe, puis, après les premiers retours d'expériences (si possible, il existe des situations que l'on ne retrouvera jamais, il faut alors une méthode solide), il est possible pour le cerveau d'automatiser. Or, comme évoqué plus haut, le cerveau va naturellement privilégier ce dernier mode.

Ainsi, cette phase d'Orientation peut être :

1/ purement et simplement shuntée dans le cadre d'une action réflexe, comme la volée réflexe du tennisman.

2/ automatisée face à des situations familières ou répétitives (en pratique, l'immense majorité des situations)

3/ un travail d'adaptation face à une situation inédite pouvant conduire aussi à un apprentissage ou un nouvel automatisme.

La qualité de la décision qui en suivra sera déjà largement gagnante ou hypothéquée selon la qualité de ce travail.

Conclusion

Ainsi, cette phase primordiale qu'est Orienter repose, pour l'essentiel, sur :

- une phase Observer réussie,
- l'existence d'un but valable,
- qui nous sommes,
- nos stratégies,
- la façon dont nous laissons, ou non, notre cerveau penser puis décider à notre place.

La phase Orienter est pour l'essentiel le siège de notre singularité. Elle produit les options, les scénarios, qui devront être arbitrées pour produire la Décision. Son enjeu : ne pas laisser notre cerveau décider à notre place.

Nous entrerons dans cette troisième phase dans le prochain billet : Décider.


“C'est dans le travail que l'on retrouve le sens de l'orientation.
Tout le reste n'est que chimères.”
De Charlie Chaplin / Ma vie





Thierry Cammarata

arbitrium14
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