Boucle OODA (3/5) : Décider

Le voyage autour de la boucle de Boyd continue.

Après avoir vu les phases Observer et Orienter, nous en venons à la troisième phase : Décider.

Bien qu'elle en fasse pleinement partie, selon Boyd, cette étape de la boucle OODA n'est pas plus importante. La personne, ou l'organe, qui décide n'a pas vocation à être plus mis en avant que les autres. La décision a pour fonction essentielle de permettre la traduction dans la réalité de celle des options possibles qui aura été retenue.

Ainsi, la décision n'est qu'une hypothèse posée sur le réel.



Entrons dans le détail.

A l’heure actuelle, l’image du “décideur” est largement mise en avant. Ainsi, par son statut, le décideur est positionné au-dessus de la mêlée et sur lui repose la lourde tâche de trancher. Il se doit d’être paré de toutes les vertus telles que la confiance en soi, le charisme, le sens des responsabilités et des priorités, ces dernières étant collectives et non personnelles, la présence et la hauteur de vue.

Omniscient et omnipotent, rien ne peut lui arriver. Ses décisions seront toujours les bonnes… Fermez le ban.

Il est curieux qu’aujourd’hui encore cette définition, qui semble faite pour flatter un ego en mal de reconnaissance, puisse encore être véhiculée à longueur d’articles.

Comment expliquer son succès ? Un élément d’analyse est qu'elle présente la décision comme une affaire d’ego, justement, et ainsi créer un biais de recrutement (privilégier l’appétence pour ce type de poste par des personnes ayant un ego fort).

Quel intérêt pour cela ? Instiller l’idée que le décideur a, par essence et par construction, tous les leviers en main pour prendre une bonne décision et que, si celle-ci s’avère mauvaise, il en est infiniment responsable personnellement.

Si on me demandait de recruter quelqu'un sur ces bases, je comprendrais qu'on recherche bien plus des qualités liées à l'obéissance qu'à l'autonomie décisionnelle. Ainsi, en cas d’échec, soit son statut de décideur était usurpé dès l’origine, soit il a failli dans la mise en œuvre. No escape.

La seule position confortable dans ce contexte est celle du supérieur du décideur qui a, face à lui, quelqu’un de forcément responsable.

Cette définition fait l’impasse, à dessein me semble-t-il, sur LA notion qui est le lot véritable de tout décideur : L’incertitude.

Décider, c'est maîtriser l'incertitude

Cette incertitude, que les deux premières étapes permettent de réduire au plus et au mieux, présente plusieurs caractéristiques.

La première est que la décision, sitôt connue, commencera à avoir des effets avant même sa mise en œuvre. C’est l’effet d’annonce. En théorie des jeux, c’est un des éléments qui caractérisent les jeux dits “infinis” : chaque décision influe sur le comportement de tous les autres joueurs (acteurs) de sorte que l’incertitude réside notamment dans l’anticipation de ces comportements.
L’incertitude ne peut être réduite que par l’action.
Dans un contexte incertain, les principes suivants peuvent être appliqués :
  • Trop d’info tue l’info

L’un des risques majeurs à ce stade est de retarder la prise de décision en se fondant sur l’idée que le temps, avec plus d’informations et d’analyses, va permettre de lever l’incertitude. Dans la boucle de Boyd, ce risque est appelé boucle O-O (O-O loop) : on passe en boucle, donc, les phases Observer et Orienter. Cela consiste à re-demander constamment plus d’information et d’analyse qui conduit à l’impossibilité de la décision. Notons que cette approche présuppose que la situation évoluera moins vite que le travail de recherche et d'analyse ce qui est hautement improbable quand l'incertitude est grande.

En résumé, dans ce cas, il y a confusion entre le risque et l'incertitude.
  • Intuition
En situation d’incertitude, l’intuition, le ressenti, les tripes, doivent pouvoir parler. Il ne s’agit pas de les suivre aveuglément mais de ne pas les nier alors que le raisonnement pur atteint ses propres limites.

J'ajoute ici la place centrale des valeurs. Agir selon ses valeurs en situation d'incertitude est une garantie de garder un cap solide malgré d'adversité.

  • Simplicité
La solution n’est pas nécessairement aussi complexe que le problème. Elle peut même n’être que provisoire à condition de maîtriser la temporalité. Cela induit l’idée d’une action par étapes même si elles ne sont pas toutes connues et décidées au départ.

  • Hypothèse
Enfin, la meilleure décision en situation d’incertitude n’est pas celle qui aurait été prise si tous les éléments étaient connus. Ici encore, c'est l'action qui va permettre de faire émerger de nouveaux éléments, apprentissages qui conduiront à de meilleures décisions. Ce n'est qu'à la fin de la situation que l'on saura parfaitement ce qu'il aurait fallu faire.

Mais qui décide ?

Contrairement aux deux fonctions précédentes, celle-ci est le plus souvent clairement identifiée (organigrammes, procédures). Mais la réalité est parfois cruelle. Trois courtes remarques à ce sujet.

La première porte sur la nécessaire clarté des périmètres de compétences. Elle doit permettre d'éviter les doublons (ces sujets sur lesquels il y a plusieurs décideurs), mais aussi les oublis (ces autres sujets sur lesquels personne ne décide).  Ces périmètres doivent donc être suffisamment souples pour épouser les complexités et les mouvements tout en ayant la rigidité propre à éviter la désorganisation. En ce sens, le découpage des fonctions opérationnelles et de support n'est pas toujours pertinente.

Or, la nature (administrative) ayant horreur du vide (décisionnel), en l'absence de décision, l'action s'imposera. C'est alors que la personne directement, physiquement, confrontée à la difficulté y répondra à sa façon hors tout cadre décisionnel. Cette dernière situation, parfois confortable, présente un risque élevé de dérive(s) et donc de crises potentielles. 

La deuxième porte sur la tentation, parfois mortifère, de rechercher la décision unique et définitive, embrassant trop de sujets avec trop d'enjeux plutôt que de les découper en plusieurs décisions. Cette approche permet plus de souplesse et souvent une meilleure efficacité.

Enfin, la troisième porte sur le développement des organes de décision collégiaux. Ceux-ci impliquent un pilotage fin du processus de décision mais aussi des qualités humaines et des compétences à mille lieux de ce que j'évoquais en début de billet sur l'ego.

Le mois prochain, nous passerons à l'action !



Écoute les conseils, décide par toi-même. 

Les maximes de la Grèce antique (1855)




Thierry Cammarata

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Image par Arek Socha de Pixabay 

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